Le vent soufflait encore, mais cette fois-ci, il n'apportait plus de paix. Le décor qui l’entourait semblait se décomposer lentement, comme une illusion qui se déchire sous la pression de la réalité. Le voyageur marchait seul, les marques incandescentes sur son front, l’écho des paroles de Bérangère résonnant dans son esprit. Elle avait disparu, comme un rêve s'évanouissant au matin, mais ses mots restaient gravés dans l'âme du voyageur : « Tu es celui que tu dois être. Celui qui nous sauvera... ».Une lueur étrange attira son regard, comme une étincelle dans l'obscurité. Une envie irrépressible de fouiller ses poches lui vint soudainement. Ses doigts rencontrèrent quelque chose de froid, un objet dont il n’avait aucun souvenir d’avoir pris possession, mais qui semblait pourtant parfaitement à sa place. Il le saisit : un miroir, flamboyant malgré les épreuves qu’il avait traversées. Le cadre était orné de motifs anciens, luisant d’une lumière douce et surnaturelle. C'était celui de ses songes ; il en connaissait miraculeusement le nom : le Miroir de Râ.
Intrigué, il le porta devant lui, sans savoir pourquoi, comme si une force invisible l'y poussait. Il leva l'objet, s'attendant à voir son propre reflet, mais ce qu'il aperçut était un visage flou, fragmenté. Ce qu'il voyait était décomposé en pixels qui se mouvaient, changeaient, se réorganisaient à chaque mouvement qu'il faisait. Il agita la main, et le dessin se recomposa, toujours brisé, mais plus vivant. Puis il bougea la bouche, et, au loin, apparut la silhouette de Bérangère, souriante, pleine de vie, dansant avec d'autres aventuriers aux contours approximatifs, comme une scène immobilisée dans un temps suspendu.
Là, dans la profondeur de la scène, des mains invisibles tissaient des liens entre les fragments, créant des ponts entre l'ombre et la lumière — des mains qu'il devinait familières, comme celles des dieux eux-mêmes, en train de façonner ce qui ne pouvait exister.
« Retrouve-les. »
Les mots de l'apparition céleste devinrent tout à coup limpides. Ce n'était pas cette réalité qu’il devait préserver, mais celle dont parlait la divinité qu'il avait rencontrée.
Dans cet objet résidait une vérité transcendante. Il tourna lentement le miroir entre ses doigts, et, à cet instant, tout lui apparut.
« Sauve notre monde... Je t'en supplie ! »
Il devait réunir les architectes, ceux qui rendraient cette œuvre possible.
Le soldat marcha sans se détourner, chaque pas l’amenant plus près de l'ultime réunion. Il ne savait pas où il allait, mais les marques sur son front le guidaient. Les créateurs, il le sentait, étaient proches. Et il les retrouva finalement, dominés par l'immense aberration démoniaque qui se dressait devant eux : le dragon.
Une aile noire battait dans les airs, menaçant de les engloutir dans sa rage. Ce n’était pas tout à fait la même bête que dans ses souvenirs, mais elle portait toujours en elle la colère, la destruction, le chaos. Elle n’était pas encore vaincue.
Trois humains se tenaient là, acculés, leurs regards fixés sur l'immense et menaçante chimère qui approchait. Elle n'était pas née de leur volonté, mais du vestige d'un combat passé. L'aile — ou peut-être une griffe — s'était peu à peu transformée en cette horrible calomnie.
Malgré l'apparente tranquillité de leurs gestes, le combattant pouvait lire dans leurs yeux une forme d'angoisse, non pas liée à l’imminence de leur fin, mais au poids de ce qu’ils étaient sur le point d'engendrer, malgré eux. Ils ne l’avaient pas désiré, mais cette chose, née d'un fragment d’un monstre ancien, s’éveillait, échappant à toute maîtrise. Une création indésirable, un écho de ce qui avait été détruit, mais qui revenait, déformé, pour prendre une forme plus dangereuse encore.
Le jeune guerrier s’élança sans hésiter. Il courut vers eux avec un seul but en tête : les secourir. Ils n’avaient pas encore compris ce qu’ils s'apprêtaient accomplir, mais lui savait. Ils devaient s'unir, éveiller leur pouvoir, et seulement alors pourraient-ils vaincre la créature.
L'anomalie rugit, projetant une explosion d'énergie obscure dans l'air, mais le garçon se plaça entre les concepteurs et la bête, levant les bras. Un murmure s’échappa de ses lèvres, une prière silencieuse. Le pouvoir des trois se réveilla. Il n'était pas seulement question de magie ou de force brute, mais d'une force plus subtile. Une lumière intense, brisée de pixels, s’éleva autour d’eux. Une énergie, une harmonie, se répandit dans l'air comme une onde invisible. Et la bataille commença.
Ce jeune homme et ses nouveaux alliés unirent leurs forces, leurs pouvoirs se mêlant pour former une barrière lumineuse. L'ignominie, furieuse, s’élança vers eux, mais à chaque coup, à chaque battement de son immense aile, le pouvoir de ces trois hommes la repoussait. La lumière se répandait, faisant éclater de sombres fragments dans l’air. Mais l'abomination n'était pas si facile à détruire. Elle résistait, se reformait, plus puissante à chaque seconde.
Alors, dans un dernier élan, l'enfant du destin fit un geste brusque, tirant de sa poche le Miroir de Râ. Il le leva devant eux. À cet instant, ils comprirent. Leurs regards se posèrent sur le miroir, et ce qu’ils virent les frappa. Le reflet n’était pas celui qu’ils attendaient. C’était une reproduction faite de pixels, un voile numérique tissé de lumière et d'algorithmes. Lui, le sauveur, serait aussi leur création. Leurs âmes, leurs esprits, vivaient déjà en lui, et s'ils ne faisaient rien, tout sombrerait dans l’immensité du néant.
Ils étaient contraints de s’unir pour protéger non seulement la Terre, mais aussi ce cosmos dissimulé derrière le miroir. Embraser leurs puissances créatrices pour redonner vie à cette part de l'Histoire.
L'aventurier, les yeux fixés sur eux, hocha la tête. Il n’y avait plus de doute.
Le moment était venu.
Un dernier cri déchira l’air alors que le dragon se ruait sur eux. Mais cette fois, ils étaient prêts. Un éclair d’énergie pure jaillit de leurs mains, leurs pouvoirs se rassemblant dans un ultime acte de bravoure. La créature hurla, et dans un éclat final, elle se dissipa en fragments, disparaissant dans une brume étincelante.
Les hommes, essoufflés, se tournèrent vers leur sauveur. Leurs visages étaient marqués par le soulagement et la résolution. Ils savaient désormais leur rôle. Le miroir devenait le symbole vivant de ce qu’ils devaient accomplir.
Le voyageur céleste les regarda une dernière fois, le cœur empli d’espoir et de fatigue. Avant de disparaître lui aussi, il leur laissa un message :
— La quête existe bel et bien... et elle est vôtre désormais.
Ils se regardèrent, puis contemplèrent, dans une tranquillité presque divine, les vestiges fuyants de ce qu'ils s'apprêtaient à construire.
En hommage à Akira Toriyama et Kōichi Sugiyama
