Mais quelle est cette légende, cette mythologie ? Kunitsu-Gami, ce récit de divinités terrestres, prend sa source dans les récits anciens du shintoïsme ; un ensemble de croyances datant de l'histoire ancienne du Japon, parfois reconnu comme religion. Une petite équipe de chez Capcom a pris la lourde tâche de s'en inspirer pour donner vie à l'un des jeux les plus atypiques de cette année 2024. Rejetant les habitudes du jeu d'action-aventure classique et incluant des caractéristiques du jeu de stratégie avec des éléments de Tower Defense, Kunitsu-Gami: Path of The Goddess semble vouloir se démarquer et proposer une expérience nouvelle pour les joueurs curieux que nous sommes. Par ailleurs, il n'est pas rare que les développeurs japonais s'inspirent de leurs propre mythologies ou croyances. Cela était déjà le cas avec GetsuFumaDen: Undying Moon de Konami, mettant en scène morts-vivants et autres yōkai ; Muramasa: The Demon Blade de Vanillaware, s'inspirant généreusement des Ukiyo-e (estampes japonaises) ; ou même Okami, un autre jeu de chez Capcom ayant pour héros la divinité Amaterasu, déesse du soleil dans la religion shinto. Cette croyance étant des plus riches, les développeurs ont le champ libre et une multitude de références pour construire un récit fictif qui servira le gameplay. C'est ce que nous retrouverons dans Kunitsu-Gami: Path of The Goddess, la voie de la déesse, se rapprochant de la traduction littérale du shintoïsme (La voie du divin).
Ce test a été réalisé sur PlayStation 5, grâce au noble concours de Capcom.
Il suffit de se laisser emporter dans cette histoire muette, parsemée de sonorités anciennes, pour comprendre que Kunitsu-Gami ne sera pas une expérience comme les autres. C'est au sommet du mont Kafuku, foyer de la déesse, qu'un sombre mal semble s'être emparé de la nature luxuriante des lieux. Le chaos de la corruption et la disparition des douze masques abritant les pouvoirs de la déesse poussent nos héros d'un autre temps à partir en guerre contre les Ikoku, des monstres destructeurs qui s'en prennent aux villageois. La prêtresse Yoshiro, avec l'aide de son fidèle protecteur Soh, utilisera le pouvoir des masques retrouvés pour purifier ces terres à travers danses et rituels. N'ayant que le jour pour se préparer et la nuit pour se battre, ces deux figures phares du jeu, en compagnie des habitants des différents villages, prendront l'ascendant sur la triste corruption qui laisse la terre de leurs ancêtres en métastase.
Si l'histoire du jeu n'est pas matérialisée à travers des dialogues, elle nous est contée de manière subtile. D'une part, un narrateur nous guide à travers des textes et des voix, et d'autre part, les mouvements et les mimiques des personnages, soutenus par une mise en scène soignée, fournissent suffisamment d'indices pour en comprendre le sens. Je suis séduit par cette approche. Transmettre des messages sans dire un mot est un exercice difficile, mais Kunitsu-Gami: Path of The Goddess y parvient avec brio. La personnalité de la prêtresse Yoshiro, exprimée à travers ses danses, sa bienveillance et son charisme naturel, inspire le respect. Il suffit d'observer la dévotion de Soh envers sa seigneurie pour comprendre son ampleur. Ce rapport de force et cette mutualité transparaissent dans un récit qui peut sembler maigre sur le papier, mais qui est riche en signification et en poésie. Chacun a sa propre sensibilité face aux différentes manières de raconter une histoire. Certains ne comprendront pas le message, tandis que d'autres se réjouiront de la puissance narrative que peuvent apporter l'image et le son, les couleurs et le flux d'informations. Kunitsu-Gami est aussi silencieux qu'un ruisseau, mais tout aussi puissant que le cycle de ce dernier : prenant naissance à la source au sommet d'une montagne, il ruisselle avec autant de fluidité et de grâce que Yoshiro jusqu'à l'embouchure d'un étang, alimentant de vie tout ce qu'il touche sur son chemin, à l'image des actions de Soh.
Les Torii, disséminés sur le flanc de la montagne, agiront comme des obstacles à détruire. Le jeu se déroule selon un cycle de jour et de nuit, divisé en zones qu'il faudra purifier de la corruption. Chaque zone sera le théâtre de mécaniques diverses que nous détaillerons. Pour reprendre les terres de ces créatures étranges, il vous faudra d'abord purifier la zone durant la journée. Cette action se matérialisera par la libération des villageois de leurs prisons monstrueuses, puis il faudra leur attribuer un métier. Dans Kunitsu-Gami: Path of the Goddess, les villageois recevront différents rôles pour les aider dans leur quête contre les créatures d'un autre monde. Les bûcherons sont des combattants robustes qui excellent dans le combat au corps à corps, tandis que les archers, dotés d’une grande précision, combattent à distance avec leurs arcs et leurs flèches. Les ascètes utilisent des sorts pour contenir les Ikoku, et les chamans soignent les villageois dans leur champ d'action. D'autres métiers seront disponibles au fil de votre progression, influencés par la difficulté et les changements graduels apportés aux zones du jeu.
De plus, ces "classes" ne sont pas figées et peuvent être améliorées en récoltant certaines ressources. Parmi celles-ci, il en existe trois principales : les cristaux, que vous gagnerez en tuant des Ikoku ou en libérant les villageois de leur cocon de corruption ; les rations, qui permettront à Soh de se soigner ou de soigner les habitants ; et les Musubi, qui sont utiles pour l'amélioration des métiers. Ces derniers se gagnent généralement à la fin de la purification d'une zone ou en accomplissant des objectifs. En ce qui concerne les rations, Yoshiro vous en fera cadeau au début de chaque nouvelle zone. Vous pourrez aussi en obtenir en libérant des animaux sous l'emprise de la corruption.
La journée n'étant toujours pas terminée, d'autres actions seront à prévoir. Si vous réussissez à libérer tous les villageois d'une zone, un sanctuaire se débloquera et vous offrira un objet spécifique. Qu'il s'agisse d'une garde Tsuba pour votre katana ou des artefacts sacrés connus sous le nom de Talismans Mazo, ces objets vous seront d'une grande utilité lors de vos affrontements, renforçant votre personnage à travers des capacités ou des bonus, ou diminuant la résistance des Ikoku. Enfin, à l'aide des cristaux, vous pourrez tracer le chemin pour guider la prêtresse vers un Torii pour le purifier. Cela aura pour effet, d'une part, de vous ouvrir la voie et, d'autre part, de la soigner en participant à un mini-jeu lors de la purification.
Quand la nuit tombe, l'atmosphère change radicalement. C'est à ce moment que les Torii libèrent les Ikoku. À travers plusieurs vagues, ces monstres attaquent sans relâche. Votre objectif en tant que protecteur est de protéger tout le monde, avec Yoshiro en priorité. Pour cela, votre katana sera votre meilleur allié dans la bataille. Vous pourrez notamment faire appel à des charpentiers pour ériger des barrières et ralentir les ennemis, ou utiliser vos ascètes pour entraver leurs mouvements. De plus, vous pourrez utiliser vos capacités spéciales qui vous permettront, par exemple, de vous téléporter instantanément près de Yoshiro ou de renforcer vos unités dans une zone donnée, ou encore de donner des ordres groupés à un ensemble de villageois. Vos unités à distance ou au corps à corps pourront être repositionnées à la volée. Vous pourrez même changer les métiers de vos villageois en échange de cristaux pour adapter votre stratégie en fonction de la situation. Naturellement, les ennemis présentent également une variété croissante et sont progressivement introduits de niveau en niveau, avec une augmentation de la difficulté bien maîtrisée.
S'il y a des ennemis simples à combattre, le jeu ponctue chaque village d'un Boss. Ces créatures puissantes auront leur propre mécanique qu'il faudra analyser pour bien positionner vos unités. En avançant dans l'histoire, ces monstres deviendront des Ikoku classiques qui se mêleront aux autres, ajoutant ainsi de la variété à vos confrontations.
Suite à ces affrontements, la nuit laisse à nouveau place au jour, mais votre labeur n'est pas encore terminé. La corruption laissée par les démons aura détruit des édifices. Vous devrez les reconstruire avec l'aide de vos villageois et parfois avec des matériaux dispersés dans la zone. Une fois le village reconstruit, vous rejoindrez Yoshiro dans votre base pour recevoir des récompenses. Cependant, les réparations ne sont pas immédiates ; il faudra souvent répéter les stages pour valider un nombre précis de cycles nécessaires à leur achèvement. De plus, des objectifs spécifiques par zone vous seront proposés, comme éliminer un certain nombre de monstres, terminer un stage sans utiliser de rations, ou encore, détruire tous les vases dans une zone donnée. L'accomplissement de ces objectifs vous permettra également de gagner des Musubi supplémentaires.
La progression est soigneusement calibrée pour maintenir l'équilibre du jeu. Les récompenses obtenues ne garantissent qu'une avancée modérée ; accomplir tous les objectifs ne conduit jamais à une facilité déconcertante. Chaque succès dans la purification des villages du mont Kafuku procure une satisfaction bien méritée. Malgré cela, nous sommes captivés par l'exploration, que ce soit à travers la structure des zones, la découverte de nouveaux métiers, ou l'apparition de nouvelles espèces d'Ikaku. Kunitsu-Gami: Path of The Goddess dévie des attentes habituelles des mondes ouverts et des RPG, en proposant une structure de niveaux rappelant des jeux comme Donkey Kong Country ou Super Mario. Avec des objectifs à accomplir et la possibilité de rejouer les niveaux pour les atteindre tous ; le jeu est segmenté de manière réfléchie. Et cela fonctionne ! Bien que le genre soit différent, peut-on réellement parler de redondance à l'instar d'un Mario ? Nous ne le croyons pas. L'équipe en charge du projet a réussi, avec peu de mécaniques, à offrir aux joueurs une expérience toujours renouvelée, que ce soit en l'absence de Soh ou des villageois dans certains niveaux, ou même en proposant des lieux assez insolites où nous n'imaginions pas la possibilité d'inclure ces mêmes mécaniques. Kunitsu-Gami est sans conteste une bizarrerie vidéoludique audacieuse. Elle réussit à mêler la stratégie à l'action, la gestion de base à la protection de Yoshiro avec une telle maîtrise qu'il est difficile de trouver ne serait-ce qu'une faille dans le gameplay. La simplicité des mécaniques proposées, liées les unes aux autres, forme une proposition à la difficulté graduelle, presque pédagogique, qui n'a d'égale que la satisfaction de son apprentissage.
Esthétiquement, le jeu attire l'œil que ce soit par son respect des architectures nippones anciennes ou par la création originale de ses créatures. Les costumes typiques, les masques et les vêtements sont travaillés avec soin, ajoutant de la cohérence à l'ensemble. Les paysages sont également réussis, bien que souvent sobres, et les altérations causées par la corruption sont du plus bel effet. Les animations de Soh en combat sont chorégraphiées et fluides, sans aucune saccade, tout comme celles de tous les êtres vivants du jeu. Le jour, la nature nous anime et nous réconforte, alors que les nuits sont effrayantes et nous plongent dans un profond sentiment de danger et d'horreur contextuelle. Un savoureux mélange de textures classiques, d'encre de chine et de peinture à l'eau nous propose un univers dynamique qui jamais ne perd en cohérence. Le design des monstres participe à la frayeur ambiante avec des inspirations yōkai auxquelles s'ajoutent de la putréfaction et de l'épouvante. Ce contraste du nuit et jour se ressent à travers toutes les composantes du titre et c'est ce qui participe à sa réussite. Musicalement, nos oreilles accueillent un mélange de sonorités classiques à travers des instruments anciens et des mélodies jouées au piano qui intensifient nos émotions.
Puisqu'il faut en finir, je dois admettre m'être trompé sur mes pronostics quant à Kunitsu-Gami: Path of The Goddess. N'étant pas un fervent admirateur du Tower Defense, j'ai été agréablement surpris de la richesse du jeu. En effet, même si ce genre peut en rebuter plus d'un, il est possible que vous y preniez du plaisir, car cela a été mon cas. Je ne peux que saluer la puissance poétique du jeu à travers sa métaphore du cycle de l'eau et sa dualité entre le jour et la nuit. C'est une expérience vidéoludique atypique qui puise son essence dans la mythologie japonaise pour produire un univers nouveau, avec ses propres règles et histoires à raconter. Yoshiro aura su me convaincre de la servir, et j'espère, à genoux devant la prêtresse, voir l'ombre de certains d'entre vous, vous tenter à l'aventure.
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Kunitsu-Gami: Path of the Goddess
- Date de sortie (japon) : 19/07/2024
- Date de sortie (Europe) : 19/07/2024
- Développeur : Capcom
- Éditeur : Capcom
- Genres : Tactique, Action
- Consoles : PS4, PS5, PC, Series, One
- Scénario 80%
- Technique 90%
- Gameplay 90%
- Plaisir 100%
- Sa direction artistique, quel que soit le domaine
- Sa fusion des genres maîtrisée à la perfection
- Son récit silencieux, charmant et poétique
- La diversité de son bestiaire
- Ses inspirations mythologiques
- Le charisme de Yoshiro
- Un je-ne-sais-quoi de jeu de gestion bienvenu
- Des boss bluffants, tant par leur apparence que par leurs patterns
- Une caméra parfois capricieuse
- Une durée de vie assez courte (15-20 heures en ligne droite)