Il est des jeux qui cherchent à divertir, d'autres à impressionner, mais Maliki: Poison of the Past fait partie de cette rare lignée d’œuvres qui veulent raconter — vraiment raconter. Né de l’univers foisonnant de la bande dessinée Maliki, le jeu ne se contente pas d’adapter son univers : il le tord, le prolonge pour mieux en révéler l'essence. En mêlant science-fiction onirique, voyage temporel et drame personnel, Poison of the Past nous murmure que de petits choix passés qui, à force de silence, deviennent de grandes catastrophes. Voici donc un jeu qui prend son temps — au sens propre — pour nous faire réfléchir à ce que nous avons perdu… et à ce que nous espérons encore pouvoir réparer...
Paris à notre époque. C'est sous un ciel fissuré par les remous du temps, dans un futur aussi proche qu’étrangement lointain, que le monde vacille. Une entité végétale, insidieuse et antique, nommée Poison, a commencé à tordre la trame du réel, altérant les époques comme on froisse une feuille de papier. Quelques privilégiées, brisées, se replient dans un sanctuaire égaré hors du continuum temporel : le Domaine. Protégé par l’Arbre aux Mille Racines, ce refuge n’est pas invincible – l’infiltration de Poison s’y glisse lentement, époque après époque, mettant en péril même ce dernier bastion.
C’est là que Sand entre en scène. Naufragé temporel, ce dernier devient l'invité de cette nouvelle aventure. C'est alors qu'il rencontre cette ribambelle de jeunes femmes et se voit confier une relique technologique : le Chrono Pack. Cet artefact ne fait pas que manipuler le temps, il en révèle les cicatrices. Son périple le mène à travers des fragments d’histoires oubliées, aux côtés de figures familières de l’univers de Maliki – Becky, Fang, Fénimale – toutes liées, d’une façon ou d’une autre, à l’origine du cataclysme. L’aventure n’est pas linéaire, car chaque saut temporel est une faille ouverte sur des secrets enfouis, des blessures anciennes, et des décisions dont l’écho résonne encore dans les époques futures.
Mais sous ses allures de fable colorée mêlant JRPG et science-fiction, Poison of the Past est avant tout une histoire humaine. On y parle de mémoire, de regrets, de deuils qu’on n’a pas faits et de choix qu’on aimerait pouvoir réécrire. Le joueur devient alors un explorateur temporel, un témoin, parfois un juge, d’un passé qui refuse de disparaître...
Chaque action modifie l’équilibre fragile du monde, comme une vérité qui s’impose doucement — peut-être que le véritable Poison n’est pas né de la nature, mais des décisions que nous avons laissées s’enraciner...
Certes, tout cela a belle allure. Mais comment ne pas se perdre dans ce tourbillon d’aventures tendres et foisonnantes sans une pincée de magie et une étincelle de technologie pour éclairer la voie ? Maliki: Poison of the Past embrasse pleinement les codes du genre qu’on chérit tant, et déploie un gameplay par des bases connues de tous.
— Tout part du Domaine.
Sand, accompagné de ses nouvelles alliées, s’élance dans un périple à travers les âges, guidé par les pouvoirs de Maliki dans l’espoir de venir à bout de Poison. Mais voilà : cette entité insidieuse a semé ses racines dans toutes les époques, forçant notre petite troupe à les arpenter une à une, comme autant de fragments d’un monde en perdition. Chaque époque prend la forme d’une zone cloisonnée, entrecoupée de portails qui servent de relais spatio-temporels, vous propulsant d’un bout à l’autre du continuum.
Pour avancer, il faudra mettre à profit les dons bien singuliers de chaque compagne de Maliki. Car ces terres, aussi charmantes soient-elles, regorgent d’énigmes retorses et de mécaniques temporelles ingénieuses. Connecter des interrupteurs végétaux, activer des trampolines de fortune, envoyer des objets dans le passé ou les faire surgir du futur, ou encore laisser le simple cours du temps accomplir son œuvre — tout devient une pièce d’un vaste puzzle vivant. Et si les premières énigmes se traversent avec le sourire, ne vous y trompez pas : l’ingéniosité du level design finira tôt ou tard par vous faire chauffer les méninges.
L’exploration, dans Poison of the Past, se fait à l’ancienne — sans carte, sans boussole, juste vous, votre instinct, et les échos d’un monde figé dans le temps. Chaque zone se dévoile à tâtons, au gré des rencontres avec des PNJ figés par Poison, que vous pourrez brièvement ramener à la conscience. Leurs paroles tracent les contours d’une direction possible.
— J’ai perdu mon équerre !
— Je dois me recueillir sur la tombe de mon mari...
— Où se trouve mon matériel de dessin ?
Autant de murmures arrachés au silence, autant de petites quêtes qui vous mettront sur la voie. Ce sont ces voix figées dans le temps qui, par leurs demandes simples en apparence, guident vos pas à travers les époques. Tout est finement tissé : parfois léger et drôle, parfois mélancolique et tendre, mais toujours empreint de cette bienveillance douce qui enveloppe l’univers de Maliki comme une couverture rassurante. Ces instants de quête, courts mais sincères, construisent un monde qui respire — non pas par ses mécaniques seules, mais par l’humanité qui les habite.
Ces âmes suspendues dans le temps vous confieront des requêtes, petites ou grandes, qui jalonnent l’exploration de moments légers et parfois poignants. Certaines vous offriront des récompenses bienvenues quand d'autres vous guideront vers le chemin de l’avenir ou du passé — c'est selon !
Cependant, vous n'érigerez pas votre exode sans rencontrer les abominations dessinées des mains de Poison. Des ennemis vous barreront la route, souvent — surtout quand vous prenez calmement le thé avec un puzzle tortueux.
— Bats-toi faible mortel !
Les combats, fidèles à l’esprit des JRPG à l’ancienne, reposent sur un système de tour par tour classique… en apparence seulement ! Car ici, la temporalité elle-même entre dans l’arène de combat. Grâce au Chrono Pack, outil signature de Sand, le temps devient une matière malléable que vous apprendrez à plier à votre avantage. Là où les RPG japonais traditionnels laissent la statistique de vitesse dicter l’ordre des actions, Maliki: Poison of the Past vous donne les clés d’un tempo plus libre — presque chorégraphié à votre guise.
En avançant d’un souffle vers le futur ou en reculant d’un battement vers le passé, vous influencez l’issue du combat : déclencher une attaque DUO synchronisée, trouver une brèche pour vous reposer dans le passé et regagner en vie et défense momentanément, ou encore anticiper une offensive ennemie. Pour ce faire, vous aurez besoin de Chrono Points récupérables entre autres par la compétence de concentration.
— Sans oublier les affinités élémentaires qu’il faudra exploiter si vous ne voulez pas vous délecter de ces délicieuses racines de pissenlit.
N'en déplaise à notre bon Spider-Man, jouer avec le temps comporte son lot de responsabilités. Chaque altération temporelle peut engendrer des effets inattendus : deux ennemis qui agissent lors du même tour, des confrontations chronométrées, ou même une multiplication des actions adverses. Le système exige doigté, réflexion… et une certaine audace temporelle. À cela s’ajoute tout un pan de gestion douce mais essentielle : au Domaine, vous pourrez crafter et améliorer votre équipement auprès de Fang, concocter des petits plats aux effets variés dans la cuisine de Lady, ou simplement laisser le temps faire son œuvre et vous offrir, à l’occasion, quelques power-ups et compétences bienvenus lors de la montée en niveau. Il en ira de même pour la création d'équipements se chargeant en Chrono Points pour rendre les attaques plus puissantes. Rien n’est superflu, tout s’inscrit dans une boucle de progression naturelle. L’univers de Maliki regorge de ces petites attentions, de ces surprises discrètes mais toujours plaisantes, qui rendent chaque détour un peu plus riche que le précédent.
Tiens, puisqu’on parle du Domaine, voilà l’occasion rêvée de marquer une pause dans cette avalanche d'affrontements et d’énigmes. Il est temps de retrousser ses manches, de plonger les mains dans la terre, et de prendre soin de l’Arbre aux Mille Racines. Car oui, au cœur de cet univers en perpétuelle tension, le Domaine offre un havre de paix, un espace de respiration où l’on cultive autant la terre que le lien au monde. Planter, récolter, nourrir l’arbre — autant de gestes simples qui ramènent à l’essentiel, comme un doux rappel que même dans le chaos temporel, il reste toujours un endroit pour semer un peu de calme.
Plus vous cultivez, plus vous récoltez de Naturons, cette énergie vitale qui pulse au cœur de l’Arbre aux Mille Racines. En le nourrissant, vous le verrez s’épanouir peu à peu, révélant tout le potentiel magique du Domaine. De nouvelles zones s’ouvriront alors à vous, comme autant de petits mondes à apprivoiser… mais attention, elles restent encore gangrenées par l’influence de Poison.
Dans ces terres fraîchement révélées, de nouvelles mécaniques agricoles feront leur apparition, vous invitant à affiner votre main verte. Heureusement, vous ne serez pas seul : Fénimale se tiendra à vos côtés pour faire de vous un fermier aguerri, à force de patience et témoin de son éternelle mauvaise foi. Mais avant de goûter aux fruits de ces nouveaux espaces, il faudra nettoyer les lieux : résoudre des énigmes, éliminer la vermine, ou parfois… faire les deux.
Le jeu parvient avec finesse à fusionner le gameplay JRPG qu’on chérit tant avec cette mécanique temporelle malicieuse, le tout saupoudré d’une simulation de ferme légère mais délicieusement apaisante. Un mélange audacieux, presque improbable sur le papier, qui trouve pourtant ici un équilibre parfait. Cette dualité entre tension stratégique et douceur bucolique crée un rythme à la fois vivant et apaisé.
Il m’est d’ailleurs souvent arrivé, alors que je poursuivais une quête, de voir ma session glisser tranquillement vers tout autre chose. Aux premières lueurs du matin, ma dernière heure de jeu s'était parfois résumée à récolter quelques légumes, replanter une graine ou simplement regarder le Domaine respirer. Une parenthèse, un souffle de calme dans l’intensité du voyage — relaxant.
Et la direction artistique n’y est pas pour rien. La palette de couleurs choisie évoque immédiatement la bande dessinée franco-belge, avec ses tons vifs, expressifs, et chaleureux. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Maliki, imaginez une rencontre improbable entre Yoko Tsuno et Lamu (Urusei Yatsura) – un croisement visuel à la fois audacieux et attendrissant.

Malgré les nombreuses influences qu’on peut y déceler, l’univers garde une identité forte. Les designs de personnages sont particulièrement soignés : chacun arbore une silhouette, une gestuelle, une couleur qui lui est propre, traduisant une personnalité visuelle unique. Et c’est là tout le charme de Maliki ; cette capacité qu'à l'auteur et son équipe à créer un monde qui se distingue immédiatement, à la fois familier dans son inspiration et résolument original dans son exécution et dans les thèmes qu'il aborde.
— N'oubliez pas de caresser les chats !
La bande originale, dans son ensemble, est soignée et bien construite. Si les thèmes principaux reviennent fréquemment, c’est dans leurs variations stylistiques qu’ils révèlent toute leur richesse. Les thèmes de combat, notamment, évoluent au gré des époques traversées : on passe ainsi d’un registre classique à des sonorités hip-hop, voire électroniques, sans jamais briser leur cohérence.
— Instant critique, s'il en est !
Durant l’aventure, il m’est arrivé de me retrouver coincé dans une texture, incapable de progresser, ce qui m’a forcé à charger une ancienne sauvegarde. Parfois, lors de certains sauts, il est possible de poser le pied sur un élément invisible ou de se retrouver piégé entre deux boîtes de collision — Unity n'est pas toujours conciliant dans ce genre de cas. Même si, la majorité de ces épisodes n’entravent pas réellement la progression, ce petit manque de finition brise légèrement l’immersion. Espérons qu'une mise à jour corrige ces petits défauts pour les versions à venir.
Depuis les dernières mises à jour, ces soucis ont été corrigés.
En guise de conclusion, je dirais que Maliki: Poison of The Past est un passe-temps aussi modeste qu’attachant. Ce n’est sans doute pas un monument du genre, mais il mérite amplement sa place dans le vaste paysage des JRPG contemporains. Il est rare – et précieux – de voir une passion née entre les mains d’une seule personne évoluer en bandes dessinées, romans, puis donner naissance à un jeu vidéo de la même sincérité sans tomber dans le schéma du produit dérivé.
On ne peut que saluer celles et ceux qui créent avec le cœur, qui cherchent à transmettre des messages forts, empreints de respect, de douceur et de bienveillance. Pour ma part, je ne peux que vous encourager à embarquer dans cette aventure, aussi émotive que ludique. Et si l’univers vous touche, alors prenez le temps de découvrir la licence dans son ensemble — car derrière ses couleurs vives et ses traits d’humour se cache un message profondément humain, qui mérite d’être entendu.
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Maliki Poison of the Past
- Date de sortie (japon) : 22/04/2025
- Date de sortie (Europe) : 22/04/2025
- Développeur : Blue Banshee
- Éditeur : Ankama
- Genres : Tour par tour
- Consoles : Switch, PC
- Scénario 80%
- Technique 90%
- Gameplay 80%
- Plaisir 90%
- L'univers de Maliki
- La mécanique de contrôle du temps en combat
- Les puzzles bien construits
- La mauvaise foi de Fénimale
- L'humour omniprésent
- Les thématiques touchantes
- Le chara design inspiré
Quelques soucis de collision