Vous avez lu le titre et vous vous dites que nous exagérons — à peine ! La création du jeune studio Sandfall Interactive n’est pas à prendre à la légère. Ce qui, au départ, semblait n’être qu’une inspiration tirée du meilleur du JRPG s’est transformé en une œuvre des plus atypiques. Un voyage qui marie avec brio un gameplay exigeant à une narration tout aussi intense. Je vous l’avoue, après avoir terminé le jeu, il m’a fallu quelques jours pour digérer l’expérience et me remettre en question avant d’écrire ces lignes. Clair Obscur: Expedition 33 m’a autant choqué qu’ému, autant fait pleurer que réfléchir — par son gameplay, mais aussi par sa puissance narrative et visuelle. C’est cette réflexion que je vais tenter de poser sur le papier.
— Ce test sur PS5 fut possible grâce au noble concours de l'éditeur.
33, Jour de deuil
Lumière. Voilà 67 ans que des personnes disparaissent chaque année. 67 ans que le Gommage frappe, exécuté par les mains de la Peintresse. Silhouette énigmatique visible à l’horizon, intangible — sinon par la mort.
Une fresque magnifique, aussi funeste que majestueuse, se dresse face au dernier bastion de l’humanité. Elle masque les étoiles et plonge le monde dans une nuit obscure d’une pureté presque irréelle. Le jour, lui, est tout autre : éclatant. Et c’est sans doute cette lumière qui pousse encore les humains à espérer.
Chaque année, une expédition tente de mettre un terme à ce génocide, de détruire cette entité inconnue qui plane au loin. Aussi frustrant que cela puisse paraître pour nous, joueurs, les habitants de Lumière se sont accoutumés à cet événement — au point de transformer leur tristesse en festival.
Ce festival, justement, le 67ᵉ, mettra en scène notre personnage principal : Gustave. Bien décidé à partir avant l’heure de son Gommage. Notre héros compte mettre en application le fruit de ses recherches grâce au convertisseur de Lumina — un artefact puissant capable de subtiliser le pouvoir des Névrons, ces créatures nées de la main de la Peintresse.
Ce jeune homme dira ses derniers mots à Sophie, son ex-concubine, cette année. Il la porte encore dans son cœur, certes, mais en connaissant la date de sa disparition, c’est plutôt de l’agacement et de la rage qu’il ressent — déterminé à en finir une bonne fois pour toutes avec cette malédiction. Maelle n’a que 16 ans. Pourtant, elle tient à se rendre utile et partira avec lui. Lune, artiste et guitariste, vit elle aussi sa dernière année. Elle embarquera avec les autres à bord du navire en direction du continent inconnu. Et tout cela sans compter Sciel, une jeune femme téméraire et forte, qui nourrit un certain amour pour l’élixir extrait du raisin.
Le festival suit son cours. Et voilà que l’ombre à l’horizon — l’ennemie jurée — trace le funeste 33.
Les habitants atteignant cet âge disparaissent peu à peu, ne laissant derrière eux que tristesse et désespoir. Pourtant, la musique continue, et le vin coule à flot.
Noyés dans ce semblant de réjouissance, les cœurs s’alourdissent. C’est alors que la sœur de Gustave, Emma, prend la parole. Un dernier discours avant le départ. Un dernier espoir pour l’humanité.
L’expédition prend la mer, en direction du continent. Leur arrivée se transforme en bain de sang. Un vieil homme étrange décime la majorité de l'escadron. Gustave, lui, échappe de justesse au massacre.
Plus loin, il s’effondre, le dos appuyé contre une montagne de cadavres, prêt à écourter sa vie de souffrance un pistolet sur la tempe. C’est alors que Lune l’en empêche, par ces mots :
Si tu meurs, je meurs aussi. Rappelle-toi ! Si l’un tombe, on continue…
Le crédo de l'expédition raisonne à nouveau en lui...
— Et je terminerai ici...
Clair Obscur: Expedition 33 fait souffrir. D’une part, par la mélancolie ambiante ; d’autre part, par l’attachement que l’on développe pour les personnages confrontés à cette situation.
Nous passons par tout un panel d’émotions et de sentiments : la tristesse, la rage, la compassion, l’envie de découverte. Sans compter sur cette irrésistible dépendance à l’histoire, qui, habilement, nous dessine les contours de notre aventure de manière subtile. Il y aura des révélations choquantes et beaucoup de sous-texte, des évidences et du non-dit et des secrets en cachant d'autres. Pourtant, jamais ce qui nous est raconté ne sera vide de sens — gardez cependant les vôtres en alerte le plus souvent possible !
Le calcul est quasiment parfait, même si certaines zones d’ombre — surtout en fin de jeu — nous indique que l'univers pourrait encore s'étendre.
— Demain viendra...
L'équipe de scénaristes a su créer une réalité grâce à un worldbuilding fascinant, mêlant diverses inspirations historiques, mythologiques et artistiques : de la Belle Époque à l’ère victorienne, en passant par un soupçon de steampunk et de fantaisie classique. Chaque élément, qu’il soit visuel, culturel ou technologique, y trouve sa place. Fondamentalement, le jeu est aussi une lettre d'amour assumée aux JRPG qui ont façonné l'histoire du genre.
Enfin, je vous laisse avec une définition remaniée du concept de clair-obscur, ou plutôt de son sens figuré. Pour moi, cette explication illustre parfaitement l'essence de toute chose dans Clair Obscur: Expedition 33.
Le clair-obscur évoque ces zones incertaines de l’âme où la lumière brûle sans jamais dissiper entièrement l’ombre. C’est le royaume des ambiguïtés subtiles, des êtres aux contours indécis et de l'indécision des êtres. Il suggère une profondeur, une beauté mélancolique née du mélange de la clarté et du mystère.
Dire qu’un être, un récit ou une idée est en clair-obscur, c’est reconnaître en lui cette part indéchiffrable, cette tension silencieuse entre le visible et le questionnement, l'évidence et le tu, le bien et le doute...
— Perturbant, n'est-ce pas ?
Clair Obscur: Expedition 33 — Un assemblage exigeant et profond
Découvrir le monde de Clair Obscur: Expedition 33 n’est pas des plus compliqués. Les lieux se divisent en deux parties. D’une part, la grande carte, qui, à l’image des JRPG d’antan, est complétée par des donjons disséminés un peu partout. Vous aurez une carte des terres avec vous, mais aucune indication autre que votre prochain objectif. Aucune carte en donjon, aucun HUD ne vous indiquant la direction à suivre. Vous êtes une expédition, et ces terres, aussi belles que cruelles, vous sont inconnues.
En donjon, vous avancerez dans des chemins parfois rectilignes, parfois sinueux. Les objets ramassés seront nombreux — du moins si vous avez la volonté de tout parcourir pour découvrir tous les secrets du monde. Qu'il s'agisse de Lumicolors, de Chromas, de Pictos, de Catalyseurs Chromatiques ou de lettres laissées par d’anciennes expéditions, chaque élément a son importance.
La Chroma est la devise du jeu.
Les Pictos sont des compétences passives assignables aux personnages. Un Picto, équipé pendant quatre batailles, débloquera sa...
Lumina, un avantage passif qui deviendra utilisable en échange de points éponymes par les personnages.
— C’est un système extrêmement simple, mais c’est dans son exécution que cela devient des plus engageants.
Au camp, accessible depuis la grande carte, vous améliorerez votre expédition : ajout de potions de soins, de résurrection, de points d'action (PA), amélioration des armes avec des Catalyseurs Chromatiques, et augmentation des points de Lumina contre des Lumicolors.
Ce sera aussi l'occasion de discuter avec votre équipe, d'écouter leurs sentiments, leurs peines et leurs objectifs. Vous vous confierez également à votre journal, dédié aux prochaines expéditions. Plus tard dans le jeu, vos rapports s'approfondiront grâce à un système sommaire de relations. Celles-ci débloqueront des Gradients : les attaques ultimes du jeu et des quêtes de personnages.

De retour en donjon, à l’instar d’un Souls, vous trouverez des drapeaux d’expédition, lieu d’assignation des points de statistiques et de nouvelles capacités. Ce passage rechargera également vos consommables, comme les potions ou l’Élixir de Chroma, qui soigne toute votre équipe sans avoir à revenir au drapeau. Vous vous y reposerez également, faisant réapparaître tous les ennemis décimés jusqu’alors.
Si vous êtes habitués aux titres de FromSoftware, il ne sera pas difficile de comprendre comment progresser sur le continent. Si ce n’est pas le cas, le seul conseil que je peux vous donner est d’être curieux. Une impasse cache souvent un chemin, un chemin n’existe pas sans raccourci, un raccourci ouvrira la porte à une récompense, un secret...
— Cependant, les sentiers ne seront pas sans dangers. Vous êtes sur la terre des Névrons et il vous faudra y faire face.
Les affrontements seront difficiles, que vous choisissiez le mode Histoire, Expédition ou Expert, et se dérouleront au tour par tour. Le mode Histoire vous donnera seulement la possibilité d'automatiser les QTE d'attaque, mais pas d'esquive.
À chaque tour, un certain nombre de PA vous sera attribué. Ce total peut augmenter en cours de joute, grâce aux compétences d’autres personnages, à certains effets de Luminas ou de Pictos équipés, ou encore en réussissant des parades et même par des effets de l'arme équipée.
Les compétences et les attaques à distance dépendent de ces points. Heureusement, parmi les objets d’expédition, une potion permet d’en regagner. L’objectif : ne jamais se retrouver à court.
Les mouvements défensifs, quant à eux, sont sans aucun doute l'élément le plus important. On en distingue trois types : le saut, la parade et l’esquive. Cette dernière est la plus simple à exécuter, mais elle ne vous offre que peu d'avantages sauf si elle est couplée à une lumina.
La parade, en revanche, permet à un ou plusieurs personnages de contre-attaquer. Cette riposte figure parmi vos meilleurs atouts, tant sa puissance de frappe est redoutable. Il en va de même pour les attaques au sol, que l’on peut éviter par un saut bien placé. Un QTE s’enclenchera alors, permettant d’asséner un coup surpuissant.
C’est sur ces manœuvres d’évitement que repose toute la difficulté ! En mode histoire, rater une ou plusieurs parades ou même un saut ne sera pas fatal. Mais à un niveau de difficulté plus élevé, ces actions deviendront obligatoires !
S’ajoutent à cela les Pictos et les Luminas : des effets assignables qui renforcent vos builds. Ils peuvent augmenter vos PA, améliorer vos soins, vos dégâts ou votre défense et ce ne sont là qu'une infime partie de leurs potentiels effets. Ils vous encouragent à créer des enchaînements, où une attaque déclenche un effet, amplifié ensuite par un Picto ou une Lumina — et ainsi de suite !
Les coups portés font également grimper la jauge de fracture du Névron. Lorsqu’elle est remplie, l’utilisation d’une compétence dédiée la brisera, étourdissant la cible pour un tour. Certains Pictos ou Luminas viendront même renforcer cette mécanique, la rendant d’autant plus dévastatrice.
Avec la panoplie d'adversaires disponibles, l'attaque à distance aura aussi son importance. Des éléments peuvent apparaitre directement sur le corps ou autour de l'ennemi. Les détruire lui fera perdre des points de vie ou encore l'empêcher de se défendre ou même d'atténuer l'efficacité de sa prochaine action — gardez l'œil ouvert !

De plus, chaque membre de votre équipe incarne une mécanique unique, à apprivoiser avec finesse et intelligence. Gustave concentre son énergie dans le Convertisseur de Lumina, insufflant à ses coups une puissance accrue à mesure que monte la tension. Maelle alterne entre postures défensives, offensives et virtuoses. Lune, elle, tisse la magie des éléments en utilisant jusqu’à quatre pigments sur son arme, chacun lié à une affinité précise.
Sciel, quant à elle, manipule un jeu de cartes : jetées vers l’ennemi, elles influencent le sort de ses prochaines actions. Plus tard, Monoco rejoindra vos rangs, miroir étrange de ses adversaires, capable d’absorber les compétences de ceux qu’il terrasse pour mieux les faire siennes.
Les Gestrals
Les Gestrals sont des créatures fantastiques qui se distinguent par leur nature à la fois amicale et belliqueuse. Ils éprouvent une véritable passion pour le combat, qu'ils considèrent comme une forme de méditation.
Les attaques Gradients s'ajouteront à la mêlée. Ces coups ultimes nécessiteront des points que vous accumulerez au fil de l'affrontement.
C’est au cœur de ce riche chaos de compétences, de bonus passifs et de mécaniques finement orchestrées que crescendo vous tisserez la puissance de vos personnages au sein d’un même combat — atteignant graduellement son apothéose. Il va sans dire que de nombreuses heures de theory crafting et d'entrainement à l'esquive vous attendent avant de trouver votre propre style.
Petit aparté sur le bestiaire, riche et varié : certains ennemis seront plus redoutables que d’autres. Les Chromatiques, par exemple, se révèlent bien plus exigeants. Même en mode Histoire, il vous faudra triturer vos méninges et faire preuve d'une acuité sans faille pour esquiver leurs attaques. Les récompenses sont, quant à elles, bien plus généreuses. Cependant, la mort ne se contentera plus de vous chuchoter à l’oreille.
— Clair Obscur: Expedition 33 est un jeu à la fois exigeant et addictif, précis et solide qui demande d'agir vite et de réfléchir longuement.
En dehors des batailles et de l'exploration, le monde regorge de secrets amusants, comme la collecte de costumes ou de coiffures pour vos personnages, à obtenir sur des boss ou des Gestrals. Certains d’entre eux, marchands, pourront être combattus pour accéder à leur inventaire secret.
Les quêtes secondaires sont également de la partie. Sans suivi ni journal, il vous suffira de trouver l'objet ou le personnage nécessaire pour les compléter. Et ce, sans même mentionner les plages de Gestrals, qui accueilleront des mini-jeux particulièrement corsés.
— Le jeu de Sandfall Interactive fait écho aux origines du JRPG, à une époque où la découverte ne tenait pas juste à la lecture de points d'intérêt...
Peinture incarnée, tableau mortuaire
J'ai toujours eu du mal à m'immerger dans des mondes fantastiques, de manière générale. Pourtant, celui de Clair Obscur: Expedition 33 a réussi à apaiser mon trouble de l'attention. Dangereux, sombres et lumineux à la fois, les décors peignent un monde dévasté, mais ô combien magistral à travers une nature vivante et colorée couplée à des vestiges anciens.
À travers ses prairies et ses cascades, du haut de ses montagnes escarpées aux rochers planant comme par magie, ou même dans les profondeurs abyssales de ses grottes teintées de lumières artificielles et de lampadaires, le continent regorge de beautés et de vestiges.
L’architecture française, inspirée de la Belle Époque — celle de Lumière —, évoque un Paris déstructuré, marqué par un gigantisme frappant. Ces références, si reconnaissables et pourtant si étrangement mêlées, nous déstabilisent : l’Arc de Triomphe en morceaux, la Tour Eiffel déformée, des statues majestueuses formant un chemin… tout nous envahit d’un sentiment coutumier.
Les fleurs aux couleurs vives ornent les fenêtres, tandis que les sentiers de galets, brillants sous la lumière, se couvrent de l’humidité ambiante.
Les petits chemins verdoyants cèdent place à des parterres, dans ce monde détruit, en deuil, fracturé. La beauté épouse le chaos, la couleur vive s’unit à son absence, le clair se fond dans l’obscur.
Même si, artistiquement, le jeu se pare d’une atmosphère cauchemardesque — les cadavres jonchant le chemin en témoignent —, les émotions ressenties lors de l’exploration sont tout autres. C’est aussi entre l’ombre et la lumière que la direction artistique déploie tout son clair-obscur. Les ennemis n’en restent pas moins inspirés : sortes de chimères, parfois démoniaques, parfois sublimes, leurs influences sont multiples, mais jamais génériques.
Et que dire de la musique ? Si les compositions oscillent entre classique et rock symphonique, les cordes y sont omniprésentes. La voix d’Alice Duport-Percier, interprète principale des chansons, s’allie avec brio à l’orchestre, insufflant une mélancolie d’une profondeur incroyable. L’électronique s’invite également au panel de l'audible avec des morceaux dubstep percutants.
Enfin, les chansons sont aussi porteuses de sens et épousent parfaitement les contours de ce que nos yeux peuvent bien percevoir...
Clair Obscur: Expedition 33 est un véritable chef-d'œuvre mystique, où chaque choix artistique — qu’il soit visuel ou lyrique — porte une signification profonde dans la compréhension de son histoire et de son univers.
Clair Obscur: Expedition 33 — Une épopée magistrale
Ce jeu m’a bouleversé… en franchissant une limite encore jamais atteinte. Vous n’imaginez pas à quel point il m’a été difficile d’écrire ce test car j’ai dû taire de nombreux aspects pour ne pas vous gâcher l’expérience. Clair Obscur: Expedition 33 est l’incarnation même d’une toile poétique où chaque élément, aussi petit soit-il, est porteur de vérité. Une véritable transmission d’émotions, une caresse affectueuse qui nous murmure que le JRPG — ou même le jeu vidéo en général — peut prendre des formes insoupçonnées.
Sandfall Interactive m’a profondément rassuré… Car au-delà de l’hommage sincère à un genre qui nous est cher, le studio prouve qu’il est encore possible de créer avec les tripes, avec pour seul moteur le partage d’une passion.
Clair Obscur: Expedition 33 sera disponible sur PlayStation 5, Xbox Series X|S et PC via Steam à partir du 24 avril 2025.
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Clair Obscur: Expedition 33
- Date de sortie (japon) : 24/04/2025
- Date de sortie (Europe) : 24/04/2025
- Développeur : Sandfall Interactive
- Éditeur : Kepler Interactive
- Genres : Tour par tour
- Consoles : PS5, PC, Series
- Scénario 100%
- Technique 100%
- Gameplay 100%
- Plaisir 100%
- Son scénario profond et atypique qui pousse à la réflexion
- Ses personnages formidablement bien écrits
- La qualité de son univers autant visuelle que lyrique
- Sa bande-son magistrale
- La puissance de son système de combat
- Les thématiques de la mort, du deuil, du courage, de l'amour et de la famille abordées avec brio
- Le tout sans aucun fanservice
- Durée de vie pouvant attendre les 70 heures si vous décidez de tout découvrir, l'histoire n'en sera que plus limpide et riche !
- Un contenu post-game engageant
- Un new game+ des plus exigeants
- Son doublage français de qualité
- La version PS5 arbore un brouillard parfois trop présent