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Un royaume sans quête — Chapitre IV — Songe

Une prairie à perte de vue. Ce soulagement. Plus besoin d'épée, plus besoin de sang, juste le silence, la nature et le vent. Les pieds nus, touchant la moindre parcelle de terre. Cette sensation si pure, si rafraîchissante, que le temps semblait immobile. Solitaire, mais le voulait-il vraiment ?

Il marcha longtemps, ou peut-être pas du tout. Dans cet espace suspendu, le temps lui échappait. C'est alors qu'il vit, posé sur un autel de pierres effritées par des siècles de rêves oubliés, un objet brillant doucement sous les lueurs d'un soleil pâle : un miroir, cerclé d'or terni, à peine plus grand que sa main.

À peine ses doigts l’effleurèrent-ils que la surface se troubla, dévoilant non pas son reflet, mais une vérité plus ancienne. Lui. Avant la chute. Avant l’oubli. Il y eut un éclat, un vertige, une déchirure. Quand ses yeux se rouvrirent, il était allongé sur un lit dur, dans une pièce faiblement éclairée. L'odeur du bois vieilli et des herbes séchées flottait dans l’air. Une voix douce, presque maternelle, s’éleva près de lui.

— Enfin réveillé...

Il tourna lentement la tête. C'était l'aubergiste, le regard aussi clair qu’une aube nouvelle, l’observait avec un mélange d'inquiétude et de soulagement.

— Tu ne te souviens pas de moi, n'est-ce pas ? murmura-t-elle. Il y a longtemps, nous nous connaissions. Tu venais de perdre tes ailes.

Elle posa la main sur son cœur, comme pour se rappeler la scène.

— De grandes ailes magnifiques... que le ciel t'avait retirée. Le monde... t’avait rejeté.

Un silence pesant tomba. Le héros, encore étourdi, baissa les yeux vers ses mains nues, comme s’il pouvait y retrouver la trace de ce qu’il avait perdu.

Bérangère sourit tristement.

— Pourtant, tu es revenu.

Il ne comprenait pas. Comment quelqu’un, aux traits évanescents, dans cette pièce traversée de rayons de lumière brisés, au cœur d’une atmosphère apocalyptique, pouvait-il rayonner d’une telle sérénité ? Le jeune homme, poussé par une curiosité trop longtemps contenue, finit par laisser échapper une question :

— Qui suis-je ?

La bonne âme effaça lentement son sourire, laissant place à un regard chargé de détermination.

— Tu es celui que tu dois être. Celui qui nous sauvera.

Le garçon, agacé, se lassa de ces réponses sibyllines, de ces promesses venues de personnes qu’il ne connaissait plus — ou pas encore. Comment lui, simple soldat de l’inconnu, pourrait-il sauver quiconque ? À cet instant, les traces sur son front s’illuminèrent.

L'aubergiste, en les voyant, sentit son regard se troubler d’émotion. Elle retint un instant son souffle, comme pour mieux choisir ses mots. Elle, qui connaissait la légende, gravée dans la pierre et la mémoire des âges. Dans un mélange de respect et de gravité, elle parla :

— Ce que tu portes sur le front, mon jeune ami, ce sont les marques de l’origine même de tout. Tu abrites en toi l’essence de la création.

Dans un élan d’affection, elle posa ses mains sur les siennes. Elle sentit toute la chaleur émanant de cet être façonné par les dieux. Elle peinait à soutenir son regard, mais lorsque leurs yeux se croisèrent, un frisson doux l’envahit, comme si, l’espace d’un instant, elle avait déjà été sauvée. Juste assez longtemps pour poser sa tête contre son épaule robuste. Dans un souffle tremblant par le feu d'un sentiment brûlant, elle chuchota à son oreille :

— Promets-moi... Promets-moi de les convaincre. Ces marques sur ton front sont des fragments de leurs âmes. Elles vivent encore ici, et toi seul peux en retrouver la voie.

Tout à coup, une vision éclata dans son esprit, vive et vibrante comme un souvenir arraché à une une partie profonde de son âme. Devant lui, dans un atelier baigné de reflets blancs, trois hommes s’activaient, concentrés, dans une harmonie silencieuse.

Le premier, au regard vif et aux gestes précis, esquissait des créatures fantasques, des guerriers aux allures rieuses, des monstres aussi tendres que redoutables. Chaque trait animé d’une vie propre, comme si le crayon puisait directement dans une source cachée sous la surface du monde. Autour de lui germaient des royaumes entiers, de simples lignes devenant tour à tour citadelles, villages et dragons.

À quelques pas, un autre, assis devant un piano, effleurait les touches d’une mélodie d’une pureté irréelle. Les notes s’élevaient, tissaient l’espace, caressaient les murs, dansaient autour des esquisses. C'était une musique faite pour éveiller les cœurs assoupis, faite de marches héroïques, de nostalgies discrètes et de promesses d'aventures sans fin.

Le dernier, debout devant une machine obscure hérissée de câbles et de claviers, façonnait un autre type de matière : des lignes de symboles clignotants, des architectures invisibles, des labyrinthes de logique et de magie. Sous ses doigts agiles, les rêves prenaient forme, les histoires s’enchevêtraient en un langage vivant.

Et dans un frisson, il comprit, qu'en réalité, jamais il n'avait été seul.

Quand il reprit ses esprits, la tête de la jeune femme était toujours à la même place. Il posa ses lèvres sur son front avec toute la tendresse et la passion qu'il avait pu ressentir lors de sa vision. Et dans une étreinte aussi douce que pure, il lui accorda cette parole :

— Je les retrouverai !

La demoiselle ferma les yeux, un sourire paisible flottant sur ses lèvres. Mais déjà, au loin, quelque chose appelait. Une vibration sourde, un grondement étouffé qui vibrait jusque dans la moelle de chaque particule de l'existant. À contrecœur, elle se détacha de lui, le regard embué de tristesse et d’espoir mêlés.

— Le temps presse, souffla-t-elle...

Une émotion aussi douloureuse qu'apaisante la parcourut. Elle leva les yeux vers lui, un sourire tremblant aux lèvres. Mais déjà, quelque chose changeait. Son épaule, son bras, se couvraient de fissures lumineuses. Des fragments de son être se détachaient, s'élevant en l'air comme des pixels désolidarisés, se dissolvant dans l'atmosphère.

— Non... murmura-t-elle, la voix brisée.

Le héros recula, les yeux écarquillés. sa confidente s'effritait, morceau par morceau, comme une esquisse dont on gomme les contours. Il tendit la main, voulut la retenir, mais ses doigts ne rencontrèrent que le vide. Il sentit une douleur sourde l'envahir, une panique viscérale. Il ne pouvait pas la perdre. Pas maintenant.

— Je te le promets, répondit-il, la voix tremblante. Je sauverai ce monde.

Elle lui sourit une dernière fois, puis s'évanouit complètement, ne laissant derrière elle qu'une pluie d'atomes scintillants.

Kuro
Kuro

✅ Créateur du média

✅ Amateur de culture pop, JRPG et retrogaming

✅ À l'âge de 38 ans, mon JRPG préféré demeure Chrono Trigger !

💔 RIP Akira Toriyama, tu resteras à jamais dans nos coeurs...

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