Un héritier spirituel des grands JRPG des années 90. Chained Echoes, sorti fin 2022, est un JRPG indépendant créé presque entièrement par Matthias Linda, un développeur allemand passionné. Ce RPG « à l’ancienne » rend un hommage appuyé aux classiques de l’ère 16-bit tels que Final Fantasy VI, Chrono Trigger ou Xenogears, tout en y apportant des idées neuves. Le jeu plonge le joueur dans le monde de Valandis, un continent ravagé par des guerres interminables entre royaumes, où la magie côtoie la technologie des méchas. Dès les premières heures, Chained Echoes s’impose comme une déclaration d’amour aux JRPG d’antan : graphismes en pixel art somptueux, bande-son evocatrice, scénario riche en rebondissements et système de combat innovant (c'est peu dire). La question se pose alors : « Pourquoi devriez-vous foncer sur Chained Echoes ? » Parce qu’il s’agit tout simplement d’un petit miracle indie, né de la vision d’un seul homme, qui parvient à rivaliser avec les légendes du genre.
Avec sa note moyenne de 89/100 sur OpenCritic et des critiques unanimes saluant un nouveau classique, Chained Echoes a su conquérir le cœur des joueurs et de la presse. « Le résultat est tout simplement colossal et majestueux ! » s’enthousiasme par exemple le site Nintendo-Différence. Comment un projet si ambitieux a-t-il vu le jour avec des moyens si modestes ? Qu’est-ce qui rend son gameplay à la fois familier et inédit ? En quoi sa direction artistique et musicale ravivent-elles la nostalgie des années 90 sans paraître datées ? Et finalement, qu’est-ce qui fait de Chained Echoes une véritable pépite qu’aucun fan de JRPG ne devrait manquer ? Dans cet article, nous explorerons ces questions à travers cinq parties : l’historique incroyable de son développement, l’analyse de son gameplay, la richesse de son univers artistique, l’accueil critique dithyrambique qu’il a reçu, et en conclusion pourquoi ce jeu mérite votre attention immédiate. Préparez votre épée, fourbissez vos méchas : Chained Echoes vous ouvre ses bras.
L’histoire de Chained Echoes est indissociable de celle de Matthias Linda, son créateur. Fan de JRPG depuis l’enfance, Linda a grandi en jouant aux titres cultes de Squaresoft et consorts, au point de créer dès son adolescence de petits jeux amateurs sous RPG Maker en hommage à Final Fantasy VI ou Chrono Trigger. Il nourrit depuis toujours un rêve : « Je voulais créer un jeu qui capture les souvenirs de mon enfance… On peut dire que Chained Echoes est mon magnum opus » confie-t-il, pleinement conscient de réaliser le projet d’une vie. Après des études de design et des années à travailler comme graphiste, Matthias Linda décide finalement de se lancer dans son propre RPG — un RPG qu’il imagine comme la synthèse de tout ce qu’il a adoré dans les jeux des années 90, mais avec la maturité et le recul acquis au fil du temps. « Je suis très sérieux quand je dis que je veux créer une lettre d’amour à l’âge d’or des RPG », affirme-t-il au sujet de Chained Echoes, citant parmi ses inspirations majeures Xenogears, Chrono Trigger, Final Fantasy VI ou encore Suikoden II. Il ne s’agit pas pour lui de copier servilement ses modèles, mais bien d’en recréer l’esprit : « Je n’ai jamais cherché à les copier. J’ai essayé de reproduire ce dont je me souvenais d’eux, car dans ma tête, tous ces jeux sont plus beaux et plus fun qu’ils ne l’étaient en réalité » dira-t-il en interview. Cette philosophie guidera tout le développement du jeu.
Les grandes influences de Chained Echoes :
- Final Fantasy VI — Épopée steampunk avec un empire technologique et un monde en guerre.
- Chrono Trigger — Aventure dynamique sans combats aléatoires, combats déclenchés sur la carte, et ambiance fantasy science-fiction.
- Xenogears — Présence de méchas pilotables (les Armures Célestes) et scénario mature aux thèmes philosophiques, alternant combats au sol et en robot géant.
- Suikoden II — Conflit politique entre royaumes, possibilité de recruter des personnages et de bâtir son quartier général (ici une base de clan insulaire).
- Terranigma, Secret of Mana, Legend of Dragoon… — L’héritage 16-bit en général, pour le pixel art coloré, la musique et le sens de l’aventure.
Le développement de Chained Echoes débute véritablement en 2016. Au départ, Matthias Linda s’y consacre sur son temps libre, le soir et les week-ends, tout en occupant un emploi à plein temps. Progresse lentement un prototype d’un JRPG au tour par tour, dont il assure tous les rôles : game design, programmation sous Unity, et surtout une immense quantité de pixel art dessinée à la main. « En fait, je suis l’équipe de dev à moi tout seul. Je fais le pixel art, … », résumera-t-il avec humour. Cette phase est éreintante et émaillée de pauses forcées (difficultés techniques, manque de temps). Mais Linda s’accroche à son objectif, méthodiquement. Fin 2018, sentant son jeu prêt à être montré, il crée un site web et des comptes sur les réseaux sociaux dédiés à Chained Echoes. Pendant un an, il va poster régulièrement des captures d’écran animées et des GIFs de son travail pour attirer l’attention des amateurs de JRPG rétro. « Chaque fois que je bossais sur quelque chose, je me disais qu’il fallait que ce soit facile à montrer en GIF sur Twitter. Si une tâche ne pouvait rien donner de visuel à tweeter, je la repoussais et je me concentrais sur une animation cool ou la carte du monde », explique-t-il, conscient de l’importance de susciter l’intérêt de la communauté. Cette stratégie porte ses fruits : malgré l’absence de démo jouable, les fans relaient les extraits du jeu, intrigués par ce RPG à l’allure authentiquement rétro.
En février 2019, Matthias Linda se sent prêt à franchir le pas et lance une campagne Kickstarter pour financer son projet. L’objectif initial est modeste — 60 000 € — mais le bouche-à-oreille et l’enthousiasme des premiers fans transforment la campagne en succès retentissant. Chained Echoes atteint plus du double de son objectif en un mois, recueillant 130 409 € sur Kickstarter et 32 813 € supplémentaires via PayPal, soit un total d’environ 163 222 €. « Nous sommes ravis d’avoir atteint tant de stretch goals, ce qui nous permet de proposer Chained Echoes sur 2 plateformes additionnelles, en version physique et en 3 langues supplémentaires » écrit alors le développeur, stupéfait de l’engouement. Grâce à ce financement communautaire, Linda peut quitter son travail et se consacrer à plein temps au jeu à partir de 2019. Il fonde son propre studio, Ark Heiral, et s’associe par la suite à l’éditeur Deck13 pour la distribution du jeu sur PC et consoles.
Malgré les fonds levés, l’équipe de développement reste minimaliste. En réalité, Matthias Linda développe le jeu quasiment seul de bout en bout : « Chained Echoes est développé par une seule personne… tout le jeu, c’est lui et tout seul » souligne Puissance Nintendo dans sa critique. La seule aide notable vient d’un collaborateur recruté pour la musique. En effet, n’étant pas compositeur, Linda poste une annonce pour trouver un musicien freelance capable de créer une bande-son à la hauteur de sa vision. C’est ainsi qu’il découvre Eddie Marianukroh, un jeune compositeur dont les œuvres le séduisent instantanément. « Il est probablement l’un des musiciens les plus talentueux que j’aie rencontrés. Dès notre première discussion, j’ai su que je pouvais lui faire confiance les yeux fermés. Je lui ai donné carte blanche pour rendre la bande-son la plus appropriée possible », raconte Linda à propos de cette collaboration presque fusionnelle. Mis à part la musique, tout le reste — de la programmation des combats à la conception des niveaux, en passant par le design pixel art des personnages, des décors et des monstres — repose sur les épaules du créateur.
Le développement à plein régime dure environ trois ans supplémentaires après la campagne participative. Linda en profite pour peaufiner chaque aspect du jeu avec un perfectionnisme acharné. Par exemple, il n’hésite pas à investir une partie du budget dans des outils Unity ou des assets pour faciliter son travail sur des points techniques complexes (pathfinding, effets visuels). Il implique également la communauté via des phases d’alpha et bêta tests réservées aux backers, récupérant des retours sans pour autant dévier de sa vision initiale du gameplay. Quelques features trop ambitieuses seront néanmoins coupées en cours de route pour le bien du jeu. Une anecdote révélatrice concerne les batailles d'aéronefs qu’il avait envisagées en plus des combats au sol et en méchas : Linda décide finalement de les supprimer, craignant d’en faire trop. « Ce n’était pas par manque de temps, mais c’était trop pour le jeu. Il se serait senti gavé inutilement avec un troisième système de combat. J’ai réalisé que le jeu serait moins bon avec ces combats que sans » justifie-t-il. Cette capacité à se fixer des limites témoigne de la maturité qu’il a acquise durant le projet.
Après sept années de travail acharné depuis les premières ébauches, Chained Echoes voit enfin le jour le 8 décembre 2022 sur PC, Switch, PlayStation et Xbox, dans une relative discrétion. Le jeu sort dans le cadre du programme Xbox Game Pass, ce qui lui offre immédiatement une visibilité auprès d’un large public abonné. Pour Linda, c’est l’aboutissement d’un rêve d’enfant. « La ligne d’arrivée est franchie », écrit-il ému à ses backers, tout en s’attelant déjà à tenir les promesses restantes (artbook physique, modes de jeu additionnels). Loin de se reposer, il ajoute dans les mois suivants un New Game Plus et divers équilibrages via des patchs. Le succès critique aidant, Matthias Linda envisage désormais l’avenir avec confiance : oui, il compte bien développer d’autres jeux, possiblement un nouveau RPG, et cette fois-ci « en s’entourant d’une équipe ». Car s’il a prouvé qu’un JRPG solo était possible, il avoue volontiers que l’entreprise requiert une endurance hors du commun. « Créer un JRPG en solo prend des années. Il faut être quelqu’un qui ne se lasse pas facilement et qui sait travailler de façon structurée, car énormément d’éléments ne se réunissent qu’au bout d’un très long processus » conseille-t-il aux aspirants dev indés. Une chose est sûre, Chained Echoes a concrétisé la folle ambition d’un fan absolu du genre : recréer les sensations de l’âge d’or du JRPG, avec les moyens du bord. Comment ce pari insensé se traduit-il manette en main ? C’est ce que nous allons voir en décortiquant le gameplay.
Sur le plan du gameplay, Chained Echoes réussit un véritable tour de force : offrir aux nostalgiques le système de combat au tour par tour qu’ils adorent, tout en y injectant suffisamment d’innovations pour surprendre. Au premier abord, les affrontements rappellent ceux d’un Final Fantasy ou Chrono Trigger : on y retrouve une liste de commandes classiques (attaquer, utiliser une compétence, un objet, se défendre, etc.) et un déroulement en tours. Mais très vite, le jeu dévoile sa botte secrète : la mécanique d’Overdrive, un système ingénieux qui dynamise chaque combat. Concrètement, une jauge d’Overdrive commune à l’équipe se remplit et se déplace dans trois zones (verte, jaune, rouge) à mesure que vos personnages effectuent des actions ou subissent des coups. L’objectif ? Maintenir cette jauge dans la zone verte, dite d’overdrive optimal, où vos personnages infligent plus de dégâts et reçoivent moins de dommages. Si vous dépassez la zone verte et tombez en surrégime (zone rouge), vos personnages entrent en surchauffe et deviennent au contraire vulnérables, subissant des dégâts critiques. À l’inverse, rester en-deçà (zone jaune) vous fait perdre le bénéfice des bonus d’overdrive et vous devrez effectuer des actions pour faire remonter la jauge. Toute la subtilité consiste donc à enchaîner vos techniques de façon réfléchie pour rester dans le vert en permanence. Certaines compétences particulières abaissent la jauge (par exemple une défense ou une compétence de type spécifique), et un encart indique à chaque tour quel type d’action réduira l’Overdrive — incitant donc à varier vos attaques. Le résultat, c’est un flow de combat extrêmement prenant : chaque tour compte, chaque décision peut faire pencher la balance entre l’overdrive bénéfique ou l’overheat dangereux. Ce système pousse à exploiter toutes les capacités de vos personnages de manière optimale, au lieu de se reposer sur la même stratégie en boucle.
Matthias Linda explique avoir conçu l’Overdrive pour « faire le pont entre le combat tactique au tour par tour et l'action ». Le pari est réussi : on retrouve la dimension stratégique propre aux JRPG classiques (prendre le temps de choisir la meilleure action pour exploiter les faiblesses ennemies, ajuster son équipement en amont, etc.), combinée à une sensation de rythme soutenu habituellement associée aux jeux plus modernes. « Je voulais vraiment créer quelque chose de rapide et nerveux tout en restant du tour par tour, et qui offre quand même une profondeur tactique » explique ainsi le développeur. À l’usage, les combats de Chained Echoes procurent une tension constante, y compris face à de simples monstres. Impossible de jouer en pilotage automatique : chaque affrontement demande un minimum d’attention pour garder la jauge dans le vert en jonglant entre attaques offensives et manœuvres défensives ou de récupération. Cette idée rappelle certains systèmes bien connus — on pense au Press Turn de Shin Megami Tensei ou à la barre ATB des Final Fantasy — mais Chained Echoes l’associe à sa propre sauce, et de l’avis général, c’est une franche réussite. La presse n’a pas tari d’éloges à ce sujet : « Le système de combat de Chained Echoes est peut-être mon préféré tous JRPG tour par tour confondus. Il rivalise avec le système Press Turn de SMT ou celui de FFX qui permet de changer de personnage à la volée » s’enthousiasme par exemple FingerGuns, qui lui attribue un 10/10 en gameplay. En d’autres termes, Chained Echoes a su trouver l’équilibre délicat entre nostalgie et fraîcheur, ce « bel équilibre entre l’hommage à ses inspirations et ses propres ajouts » qui fait son identité.
Il est intéressant de noter comment Matthias Linda a rationalisé certains éléments classiques pour les adapter à ses moyens de développement tout en améliorant l’expérience de jeu. Par exemple, il admirait le système de Chrono Trigger où les ennemis sont visibles sur la carte et où le placement des personnages compte durant les combats. Néanmoins, coder des positions et des portées d’attaque complexes en pixel art représentait un travail titanesque pour une seule personne. Il a donc opté pour une solution plus simple sans rien sacrifier du plaisir de jeu : « Dans Chrono Trigger, quand un combat démarre, les personnages peuvent se placer à gauche, à droite, en haut ou en bas de l’ennemi, et c’était trop de boulot pour moi. Dans Chained Echoes, tous les combats se déroulent de gauche à droite, en gros comme les combats aléatoires de Final Fantasy, mais ils ont lieu directement dans la zone d’exploration. C’est beaucoup plus fluide comme ça » explique-t-il. En pratique, cela signifie qu’il n’y a aucune transition vers un écran de combat séparé : l’affrontement se déroule là où vous avez rencontré l’ennemi, ce qui renforce la dynamique. De plus, Chained Echoes abandonne purement et simplement les combats aléatoires : tous les ennemis sont visibles et évitables pendant l’exploration, ce qui ravira ceux qui redoutent le spectre du grind forcé. Linda souhaitait d’ailleurs bannir le grind en repensant la progression : dans son jeu, les personnages ne gagnent pas d’XP à chaque combat. À la place, chaque boss ou accomplissement majeur rapporte un Éclat de Grimoire qui permet de débloquer de nouvelles compétences sur un arbre de talents. Ainsi, pas besoin de combattre des heures pour monter de niveau : l’évolution de l’équipe est maîtrisée, ce qui garantit un équilibre constant du challenge. L’intention du game design est claire : faire vivre au joueur une aventure rythmée, sans temps mort superflu, où jamais la progression ne sera bloquée parce que vous êtes underlevel.
Pour soutenir ce système, Chained Echoes propose une palette de personnages jouables assez large et modulable. L’aventure vous fera recruter jusqu’à 12 personnages différents (dont certains optionnels via des quêtes annexes), chacun ayant son style de combat, ses forces et faiblesses. À l’écran, on peut en contrôler jusqu’à 8 en même temps sous la forme de deux groupes de 4 interchangeables. En effet, autre bonne idée héritée de Final Fantasy X, il est possible de switcher un personnage en combat avec son partenaire de réserve sans perdre de tour, d’une simple pression de bouton. Cela encourage à utiliser l’intégralité de l’équipe et à élaborer des stratégies en combinant les compétences de tous. Cette mécanique de tag augmente encore la dimension tactique et la flexibilité des affrontements. Par ailleurs, Chained Echoes incorpore un système de classes supplémentaires via des emblèmes cachés à trouver : chaque personnage possède son kit de base, mais peut se voir assigner une classe annexe octroyant des compétences additionnelles actives et passives.
À mi-parcours, le jeu réalise le fantasme de tout fan de Xenogears en introduisant les Armures Célestes, des armures mécaniques volantes que les héros peuvent piloter. Ces méchas s’obtiennent environ à la fin du premier tiers du scénario, et comme l’explique Matthias Linda, « ils doivent se mériter comme une récompense ». Une fois acquises, les ces dispositifs bouleversent agréablement le gameplay. Elles permettent d’accéder à des zones jusqu’alors inatteignables, et bien sûr d’engager des combats aériens spécifiques. Ces affrontements obéissent à des règles un peu différentes : les méchas ont leurs propres stats, équipements et compétences, et ils utilisent un système proche de l’Overdrive appelé Overheat. La jauge d’Overheat fonctionne de manière similaire (il faut éviter les zones rouges aux extrémités qui représentent la surchauffe du mécha), si ce n’est qu’elle démarre au milieu et fluctue différemment. Piloter procure une puissance de feu supérieure, mais attention : on ne peut pas rester indéfiniment en mode mécha sans gérer la chaleur. Ces phases de jeu apportent une vraie variété et renouent avec le plaisir des combats de gears de Xenogears, ou même avec les joutes aériennes de Skies of Arcadia auxquelles Linda songeait initialement. Toutefois, le créateur a eu la sagesse de ne pas rendre les méchas trop présents : on ne peut pas les invoquer partout n’importe quand, et certaines batailles scriptées forcent à alterner entre pilotes et combattants. Cela garantit que ces machines restent un plaisir ponctuel, sans déséquilibrer l’ensemble du jeu.
En dehors des combats, Chained Echoes propose une exploration riche et pleine de secrets, dans la pure tradition des JRPG 16-bit. Le monde de Valandis est constitué de régions variées reliées par une carte du monde façon Final Fantasy VI. Linda tenait absolument à inclure une world map : « Les world maps donnent l’impression d’un monde ouvert. À l’époque SNES, de vrais open-worlds n’étaient pas possibles, mais ces cartes nous faisaient sentir qu’on voyageait dans un monde connecté. J’ai adoré cette idée, je voulais donc en avoir une aussi. Et puis c’est amusant à concevoir et remplir de petits détails. Et oui, ça me permettait aussi de justifier la présence d’aéronefs, que j’adore » explique-t-il. Ainsi, le joueur pourra, à un certain point de l’histoire, mettre la main sur un navire volant et voguer librement dans les cieux de Valandis. Cette liberté tardive rappelle celle de FFVI ou Chrono Trigger (avec l’Epoch), offrant en fin de jeu l’occasion de boucler des quêtes annexes et de dénicher des zones optionnelles. Car du contenu annexe, Chained Echoes n’en manque pas : le jeu regorge de quêtes secondaires, de boss cachés, et même d’un système de clan à bâtir. En effet, dans la seconde moitié de l’aventure, vos héros fondent une base de clan sur une île, à la manière du château de Suikoden. Vous pourrez y recruter divers PNJ aux talents uniques qui viendront peupler votre QG et vous offrir des services ou mini-jeux. C’est une surprise fort agréable de voir un tel mécanisme dans un RPG indé. À ce stade, Chained Echoes dévoile clairement son ambition de comprimer en un seul titre tout ce qui faisait la richesse des JRPG classiques, du scénario principal épique jusqu’aux à-côtés facultatifs mais amusants.
Enfin, un mot sur la difficulté et l’accessibilité du gameplay. Chained Echoes n’est pas un RPG facile à proprement parler : certains combats de boss offrent un défi relevé, exigeant d’exploiter intelligemment l’Overdrive et le craft. Cependant, grâce à l’absence de grind obligatoire et à de nombreuses fonctionnalités de qualité de vie (par exemple, la vie et les points techniques de tous les personnages sont entièrement restaurés après chaque combat), le jeu reste plaisant et fluide. Il instaure un équilibre où le joueur est constamment mis à contribution tactiquement, sans jamais être découragé par des contraintes artificielles. Les sauvegardes sont fréquentes, les déplacements sont facilités par la carte du monde, et un journal de quêtes clair permet de suivre les intrigues annexes. Matthias Linda a manifestement pensé son game design pour respecter le temps du joueur — une philosophie héritée des JRPG modernes — tout en conservant le charme et la profondeur des mécaniques d’antan. En somme, le gameplay de Chained Echoes réussit le pari d’être à la fois familier et innovant, accessible et exigeant, nostalgique et moderne. C’est un système ciselé avec amour qui témoigne du savoir-faire d’un fan devenu créateur, capable de repenser intelligemment les codes du genre qu’il vénère.
Visuellement et artistiquement, Chained Echoes frappe d’emblée par son esthétique rétro pleinement assumée. Le jeu adopte un style pixel art 16-bit digne de la Super Nintendo, avec des sprites 2D détaillés et une palette de couleurs riche. Matthias Linda a cherché à évoquer la manière dont on se souvient de ces jeux, plutôt que leur réalité technique limitée. « Mon idée était… de créer un jeu qui ressemble à la façon dont je me rappelle des jeux de l’ère SNES. Pas à leur apparence réelle, mais à leur apparence dans mes souvenirs. Plus le temps passe, plus ces jeux deviennent beaux dans ma tête. C’est le style que je visais » confie-t-il. Cette déclaration résume parfaitement le rendu de Chained Echoes : le jeu est plus beau que n’importe quel JRPG sorti sur Super NES, tout en en conservant l’esprit. Les décors fourmillent de détails : on voit les reflets de l’eau après la pluie dans les flaques d’un marché pavé, la lumière vacillante des bougies dans une taverne animée, la fumée s’élevant des échoppes de nourriture… Chaque environnement respire la vie grâce à de petites animations et une patte artistique soignée.
La direction artistique rend hommage aux classiques 16-bit tout en affichant sa propre identité. En ville ou en pleine nature, chaque zone du jeu possède sa palette et son ambiance. On voyage ainsi des ruelles colorées de Farnsport (une cité portuaire foisonnante d’activités) aux vastes plaines verdoyantes de Rohlan, en passant par des forêts mystiques, des temples anciens, ou des bases militaires high-tech évoquant Chrono Trigger et Xenogears. L’univers de Valandis se situe « à mi-chemin entre la magie et la technologie », on croisera aussi bien des dragons et des créatures chimériques que des méchas géants ou des vaisseaux volants. Les designs des personnages principaux s’inscrivent dans la tradition JRPG (le héros Glenn arbore la chevelure rouge d’un protagoniste de shōnen, la mercenaire Kylian un air ténébreux sous sa capuche, etc.), mais chacun possède des traits distinctifs et une palette de couleurs unique qui le rend immédiatement identifiable à l’écran. Les ennemis, quant à eux, présentent des designs inventifs mélangeant fantasy et steampunk : armures magiques animées, gigantesques tortues cuirassées, robots sentinelles, sans oublier quelques boss au look impressionnant qui renouent avec la démesure des Final Fantasy (mention spéciale à une certaine créature constituée de centaines de visages hurlants — un ennemi digne des cauchemars de Kefka).
L’animation des sprites est fluide et donne vie à ce petit monde pixelisé. Que ce soit les effets de sortilèges (explosions de flammes, éclairs qui zèbrent l’écran), les coups spéciaux dynamiques ou simplement les gestes du quotidien (un personnage qui boit un verre dans une taverne, un autre qui s’étire de fatigue), Chained Echoes regorge de ces détails animés qui témoignent du soin maniaque apporté par Matthias Linda à son pixel art. Les cinématiques en moteur de jeu parviennent même à évoquer des moments de bravoure et d’émotion sans recourir à la moindre 3D : un lever de soleil sur la plaine, un aéronef qui se pose en ville, ou encore une scène de dialogue dramatique profitent de jeux de lumière et de mises en scène astucieuses. Il est aussi notable que le jeu propose une interface old-school, avec des menus en pixel art soignés et lisibles, tout en intégrant des portraits de personnages en artwork pendant les dialogues. L’UI reste sobre et élégante, ne gâchant jamais l’immersion visuelle.
Si la technique sert admirablement l’hommage, la direction artistique ne manque pas d’originalité pour autant. Comme l’écrit Point'n Think, « Chained Echoes respire l’originalité par tous ses pixels. S’il est profondément nostalgique à bien des égards, il n’oublie pas de regarder ce qui s’est fait depuis ». En effet, loin d’être figé dans le passé, le jeu intègre aussi des influences plus modernes ou personnelles. Par exemple, on sent l’inspiration de jeux plus récents comme Xenoblade Chronicles (Linda cite Xenoblade Chronicles X comme ayant son mécha préféré) dans certaines proportions de décors ou dans l’interface épurée des combats. Certaines compositions d’écran rappellent même Octopath Traveler dans la manière de représenter la profondeur (avec des effets de parallaxe dans les paysages). Mais globalement, Chained Echoes ne cherche jamais le réalisme ou l’esbroufe technique : il vise l’efficacité du pixel art narratif, cette capacité qu’avaient les JRPG 2D à enflammer l’imagination avec quelques sprites et un bon storytelling. En cela, le pari est brillamment relevé.
Un domaine où Chained Echoes transcende particulièrement son statut d’indie est la musique et l’ambiance sonore. La bande-son originale, composée par Eddie Marianukroh, est un véritable régal pour les oreilles et un vecteur puissant de l'ambiance du titre. À l’instar des graphismes, la musique s’inspire des grands anciens (on devine des touches de Nobuo Uematsu, Yasunori Mitsuda ou Motoi Sakuraba), mais elle possède sa propre personnalité. Les mélodies utilisent les codes de l’ère 16-bit avec brio : on y entend de nobles thèmes au piano et violon pour les moments d’émotion, des fanfares épiques accompagnées de percussions entraînantes lors des combats de boss, ou encore des nappes planantes de synthé façon SNES pour les phases d’exploration nocturne. « L’ambiance musicale reprend les codes de l’ère 16 bits avec brio et met parfaitement dans l’ambiance tous les amateurs de [JRPG rétro] » salue le test de Puissance Nintendo. Le souci du détail va loin : chaque grande zone de Valandis possède son propre thème musical, souvent mémorable (le thème de la ville de Basil est un morceau de guitare acoustique apaisant qui reste en tête, tandis que les champs de Rohlan portent un air aventureux aux cuivres). Lors des combats, la musique s’adapte subtilement à la situation : un morceau rythmique se lance pour les rencontres classiques, mais en cas de danger (overdrive dépassé ou boss enragé), une variation plus intense peut survenir, ce qui soutient parfaitement la tension du gameplay.
Il faut aussi parler du sound design, qui lui aussi évoque la nostalgie tout en étant de haute qualité. Les bruitages des menus ou des combats semblent tout droit sortis d’une cartouche SNES (le petit bip quand on sélectionne une action, le slash feutré d’une épée qui frappe, ou l’effet scintillant d’un sort de soin qui rappelle Secret of Mana). Certains ennemis poussent des cris digitalisés délicieusement rétro. Cependant, Chained Echoes sait aussi se faire plus moderne quand il le faut : l’absence de voix est compensée par des musiques dynamiques qui montent en puissance dans les moments clés du scénario. On notera d’ailleurs que le jeu propose des textes localisés en plusieurs langues (dont le français, grâce à la réussite du Kickstarter), ce qui permet de profiter pleinement de l’histoire sans barrière de la langue — un atout pour une expérience aussi narrative.
Pour résumer la partie artistique, disons que Chained Echoes réussit le grand écart entre hier et aujourd’hui. Le jeu aurait pu sortir en 1995 qu’il aurait été encensé pour ses graphismes ; en 2022, il apporte une bouffée d’air frais aux amateurs de pixel art en prouvant que ce style a encore de belles heures devant lui. La presse spécialisée souligne à quel point l’ensemble forme un tout cohérent : « Les visuels style 16-bit sont absolument superbes, et le combat au tour par tour n’est similaire à rien d’autre que j’ai pu voir. […] Chained Echoes a tiré toutes les bonnes leçons de ses inspirations 16-bit… se révélant à la fois moderne et nostalgique à la fois » s’enthousiasme Rock Paper Shotgun dans sa preview. Siliconera renchérit : « Il trouve un équilibre magnifique entre l’hommage à ses prédécesseurs et ses propres idées pour se démarquer, avec une direction artistique géniale et une bande-son phénoménale pour couronner le tout ». Difficile de mieux résumer : Chained Echoes est beau à voir et beau à entendre, et chaque élément visuel ou sonore du jeu contribue à nous replonger en enfance tout en nous faisant découvrir un univers original.
À sa sortie, Chained Echoes a créé la surprise et s’est très vite imposé comme un chouchou de la critique et des joueurs, malgré son statut d’outsider. Il faut dire que peu de monde avait vu venir ce projet indépendant au milieu des mastodontes de fin d’année 2022. Et pourtant, le jeu de Matthias Linda a su tirer son épingle du jeu grâce à un bouche-à-oreille exceptionnel. Sur l’agrégateur OpenCritic, Chained Echoes affiche une moyenne de 89/100, et pas moins de 95% des critiques recommandent le jeu. Plusieurs sites influents lui ont décerné des notes équivalentes à celles de productions AAA : par exemple, God is a Geek lui a attribué un 10/10, Nintendo Life un 9/10, et Game Informer un solide 8,8/10. Surtout, au-delà des chiffres, ce sont les qualificatifs employés qui témoignent de l’enthousiasme général. « Une lettre d’amour retentissante aux RPG 16-bit », « un incontournable pour une nouvelle génération », « le JRPG moderne qui prouve que la formule rétro n’a rien perdu de sa superbe » — les éloges pleuvent dans les tests anglo-saxons comme français.
Le site Siliconera parle d’un jeu qui « s’élève au-dessus de la mêlée des RPG rétro-inspirés », louant son histoire engageante, son casting distinct et son système de combat à la fois familier et unique. RPGFan, référence chez les fans du genre, salue « un mélange parfaitement dosé de nostalgie et de modernité, qui ravira aussi bien les vétérans que les nouveaux venus » (d’après leur interview et aperçu du jeu). Du côté de la presse francophone, Puissance Nintendo attribue un joli 17/20 au jeu et n’hésite pas à l’appeler « la pépite que personne n’a vu venir ». Le testeur Kurogeek y écrit que Chained Echoes est « le projet fou d’un seul homme [qui] voit le jour ! Une pépite, on vous le dit sans détour, un RPG indépendant comme on voudrait en avoir à chaque fois ». Il ajoute même, concernant l’ambition du créateur, que « le résultat est tout simplement colossal et majestueux ».
Au-delà des critiques spécialisées, Chained Echoes a su trouver son public de joueurs passionnés, comme en témoignent les évaluations écrasantes de positivité sur Steam. Les fans de JRPG classiques y voient souvent un héritier digne de leurs souvenirs d’enfance. Sur les forums et réseaux sociaux, les comparaisons avec les monuments du genre abondent : « le successeur spirituel de Chrono Trigger que l’on attendait » disent certains, « le meilleur JRPG rétro depuis des lustres » affirment d’autres. Un utilisateur de Backloggd résume bien le sentiment général en qualifiant le jeu de « véritable miracle mineur », tant il paraît incroyable qu’il ait pu voir le jour du fait d’une seule personne. L’authenticité du projet, l’étiquette fait maison, ajoute clairement une sympathie supplémentaire à l’appréciation du jeu. Beaucoup se montrent indulgents sur les (rares) défauts de Chained Echoes en les replaçant dans ce contexte : oui, le scénario peut sembler parfois surchargé ou maladroit sur la fin (quelques joueurs notent une baisse de rythme dans le dernier quart de l’histoire), oui, certains systèmes secondaires comme l’artisanat d’équipement auraient pu être plus approfondis — mais qu’importe. Chained Echoes est de ces œuvres dont on excuse aisément les petites imperfections tant l’ensemble transpire la passion et la sincérité.
Pourtant, Chained Echoes n’a pas bénéficié d’une campagne marketing massive ni de la puissance d’un gros éditeur pour se mettre en avant. Son succès, il le doit avant tout à sa qualité intrinsèque et au relais des communautés de joueurs. L’intégration au Game Pass a certainement donné un coup de projecteur initial, mais c’est le bouche-à-oreille qui a fait boule de neige. En quelques semaines, le jeu est passé du statut de curiosité indie à celui de nouveau classique du JRPG pour de nombreux commentateurs. Sur Reddit, un joueur s’enthousiasme : « Chained Echoes n’est pas juste une lettre d’amour aux JRPG classiques — c’est un maître-étalon du game design moderne. […] Le jeu nous rappelle pourquoi on aimait ces RPG d’antan, tout en corrigeant les écueils du passé ». Ce genre de retours élogieux, venant de fans aguerris, montre bien que Matthias Linda a touché juste. Son jeu parvient à satisfaire la nostalgie tout en surprenant par ses trouvailles, et à l’ère des productions ultra-polies mais parfois formatées, cela a le goût d’un petit miracle.
Chained Echoes est un véritable bijou du jeu de rôle qui mérite l’attention de tout fan de JRPG, voire de tout amateur de jeux d’aventure bien construits. La question initiale était : « Pourquoi devriez-vous foncer sur Chained Echoes ? ». La réponse apparaît maintenant évidente : parce que c’est un jeu conçu avec amour par un passionné, qui réussit à condenser le meilleur des années 90 dans une expérience moderne et palpitante. C’est un RPG où l’on sent à chaque instant la patte de l’artisan, cette touche d’âme et de personnalité qu’aucun algorithme ne saurait reproduire. Chained Echoes nous rappelle que l’esprit des Chrono Trigger et Final Fantasy VI n’est pas mort : il vit à travers des créateurs indépendants capables de prouesses lorsqu’on leur en donne la chance. Malgré un budget et une équipe minuscules, Matthias Linda a accouché d’un jeu à l’ambition colossale, qui n’a pas à rougir face aux productions des grands studios des années 90. Bien au contraire, il s’impose comme l’un des meilleurs JRPG de ces dernières années, toutes origines confondues.
De plus, nous ne sommes pas au bout de nos surprises, car un DLC intitulé Ashes of Elrant est prévu pour le deuxième trimestre 2025, et viendra prolonger l’aventure principale juste avant l’affrontement final. Vous serez alors projeté hors de Valandis, à la découverte du mystérieux royaume d’Elrant, où la Louve Blanche, nouveau personnage jouable, rejoindra vos rangs. De nouveaux territoires à explorer, plus de 40 ennemis et boss inédits, au moins 15 pistes musicales originales signées Eddie Marianukroh, ainsi que des mini-jeux et objets exclusifs.
En réalité, Chained Echoes n’est rien de moins qu’une lettre d’amour interactive aux JRPG classiques, et cette lettre mérite amplement d’être lue par le plus grand nombre. Pourquoi devriez-vous y jouer ? Parce qu’il réussit à être à la fois moderne et nostalgique, épique et intimiste, complexe et accessible. Parce qu’il concrétise un rêve de fan avec une maîtrise surprenante. Et tout simplement parce que des jeux faits avec un tel cœur sont rares — Chained Echoes est de ceux-là, un petit miracle indie qui redonne foi dans la magie du JRPG.
Sources :
- Interviews de Matthias Linda sur RPGFan et GameDeveloper ;
- Aperçu Rock Paper Shotgun ;
- Test Puissance Nintendo ;
- Review Siliconera ;
- Page Kickstarter ;
- Nintendo Life ;
- Données OpenCritic ;
- Discussions Reddit.
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