[Test] Shiren The Wanderer: The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island

Sixième opus principal de la série Shiren The Wanderer, elle-même issue de la grande famille des Donjons Mystères, The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island marque le retour du vagabond au chapeau après 8 ans d’absence. Respecter la complexité et la difficulté traditionnelles de la saga tout en la rendant plus accessible, tel est l’objectif audacieux que s’est fixé Spike Chunsoft. Alors, le pari est-il tenu ?

À l’assaut de Jakakouille la Fripouille*

Une demoiselle à sauver, un gros monstre, et la promesse d’un abondant trésor : c’est plus qu’il n’en faut à Shiren le Vagabond (et agent de la paix avant tout) pour prendre la route de Serpentcoil Island, l’île Serpentin. Accompagné de son loquace furet Koppa, il s'élance vers le mont Jatou, au sommet duquel siège le redoutable Jakaku (à qui nous présentons nos excuses pour l’odieux jeu de mots dont il vient de faire les frais). Un prétexte scénaristique des plus convenus, qui cache cependant une narration assez généreuse, nous y reviendrons. Précisons d'emblée que

le jeu n'est pas traduit en français

Modèle de roguelike à la dure, le jeu nous propose donc d’explorer l’île, qui revêt la forme d’un donjon mystère aux multiples étages, générés aléatoirement. L’environnement de chaque niveau et les types d'ennemis rencontrés restent les mêmes d’une partie à l’autre, pour garantir une difficulté croissante. Cela dit, le danger peut s'abattre sur vous sans prévenir, au moindre recoin, et sous des formes parfois inattendues. Ayez l’infortune de tomber au combat, et vous perdez tout ! Niveau, équipement, statistiques… Dura lex, sed lex, comme l'a dit Romain (qui ?).

On retrouve sur Serpentcoil Island les mécaniques habituelles de la série. Pour progresser, armes et boucliers vous seront d'un grand secours ; trouvaille salutaire ou achat stratégique, difficile d'aller loin sans une protection convenable ou un minimum de dégâts. Les bracelets vous octroieront d'autres bonus, mais leurs effets, toujours positifs, sont inconnus avant identification. Les rouleaux (scrolls) et les sceptres (staffs) sont aussi au rendez-vous ; du sort de confusion de masse au soin intégral, l'éventail est large. À vous de constituer un arsenal varié pour être prêt à affronter n'importe quelle situation ! Enfin, les pots pourront vous aider à stocker des objets, à les transformer... ou à les perdre définitivement. C'est aussi cela, l'amour du risque.

Ce qui compte, ce ne sont pas les sceptres. C'est ce que vous en faites.

Shiren sauvé par un Béhémoth Sumo ?

Quelques spécificités viennent enrichir cet épisode. La satiété (fullness) reste une composante fondamentale de l'aventure, puisqu'un Shiren affamé est un Shiren décédé, ou presque. Pensez donc à toujours avoir un onigiri sur vous ! Si vous augmentez suffisamment votre satiété maximale, vous pourrez débloquer le nouveau statut "sumo" : invulnérabilité aux pièges, points de vie et dégâts majorés... Une récompense alléchante, au prix d'une habile gestion de vos stocks de nourriture.

Les Behemoths, nouveaux prophètes de l'angoisse, font aussi leur entrée. Face à ces énormes créatures au lieu d'apparition variable, la fuite est plus que recommandée. Heureusement, elles ne peuvent pas apparaître à tous les étages ; sans cela, un défibrillateur aurait dû être fourni avec chaque copie du jeu.

Dernière nouveauté intrigante, les missions de secours (Rescue). Si vous échouez dans votre ascension, vous pouvez solliciter la bienveillante assistance d'un autre joueur, qui s'élancera pour vous sortir de ce mauvais pas. En cas de succès, vous pourrez reprendre la route comme si de rien n'était ! Pour votre valeureux héros, des points d'aide sont à récolter, octroyant des bonus facilitant ses futurs sauvetages. Une dimension collaborative intéressante, bien que vous puissiez aussi tenter de vous secourir vous-même (au risque de passer deux fois pour une chèvre).

Un sixième opus entre tradition et modernité**

Avec les œuvres "de genre", ce sont l’utilisation des codes (en l'occurrence ceux du roguelike) et la créativité du gameplay qui font la qualité du jeu. En élaborant différentes séries – notamment Torneko, dont on attend aussi le retour – Spike Chunsoft a depuis longtemps affiné sa maîtrise du roguelike et du format "Donjon Mystère". De ce point de vue, Shiren 6 propose une excellente expérience, malgré son caractère impitoyable. Difficile en effet de se méfier d’un monstre jamais croisé, de mesurer l’importance d’un nouvel objet, ou de choisir la bonne stratégie lorsqu’on avance à tâtons en terre inconnue. Et ainsi, fauché au 3ème étage par un spectre malicieux, ou pris en sandwich dans un couloir du 25ème, la sentence est irrévocable : retour au village de départ, nu comme un ver, et niveau 1. L’agacement peut nous gagner, naturellement. Mais à la réflexion, on comprend ce que l’on aurait pu faire de mieux, on perçoit les vraies menaces, et on repart, fleur au tachi, à l’assaut du donjon avec une détermination renouvelée.

C’est la grande force de Shiren The Wanderer : nous transformer et nous rendre meilleur·e intrinsèquement, plus que notre incarnation virtuelle. La victoire ne peut passer que par des choix éclairés… Bon, et un peu de chance, aussi. Une arme puissante qui vous attend dès l’entrée du premier niveau, ou une camarade valeureuse qui vous rejoint au bon moment, peuvent drastiquement changer le cours d’une partie. Mais au fond, comme dirait un éminent philosophe : ce qui compte, ce ne sont pas les cartes, c’est ce que vous en faites.

Au-delà du gameplay, on pourrait tout de même reprocher à Serpentcoil Island une forme de minimalisme et un manque d'ambition visuelle. La 3D colorée et l'esthétique très "ronde" correspondent certes à l'ambiance du jeu, légère et fruitée. Malgré cela, les choix restent assez conformistes, et le monde proposé manque de profondeur. Face aux représentants les plus modernes du genre, Shiren 6 ne semble pas vouloir se battre sur ce terrain, et favorise la simplicité au bénéfice de la clarté.

La musique mérite aussi quelques mots : pas moins de 109 pistes sur la bande originale, pour une durée totale de 5h30 ! Une générosité nécessaire afin de ne pas lasser les joueurs, et s'accorder aux fréquentes variations de décors. Les compositions exploitent les instruments traditionnels japonais – la danse endiablée du shamisen de Special Monster House... – mais nous font aussi voyager, associant par exemple une yokobue (flûte japonaise) à une guitare acoustique et des percussions évoquant le Moyen-Orient (Dune de Batsu). 

Shiren, The Wanderer au grand cœur

Comme évoqué plus haut, le synopsis de départ tient sur un timbre, mais quelques heures de jeu suffisent à montrer que tout n’est pas si simple. Fidèle à son rôle de héros, Shiren s’attire en effet la sympathie de toutes celles et ceux qu’il croise, bravant le danger pour leur porter assistance. De multiples histoires entremêlées viennent épaissir le récit, et une galerie de personnages hauts en couleur rythmera vos ascensions successives – car si, comme votre serviteur, vous enchaînez les défaites tragiques, chaque tentative ou presque vous livrera un nouvel élément scénaristique. Des carottes narratives qui rendent les échecs plus digestes, et offrent ponctuellement une aide bienvenue, par exemple en débloquant nouveaux objets ou compagnons. 

Bien sûr, rien de tout cela n’est nécessaire, et un·e joueur·se expérimenté·e ou particulièrement doué·e peut très bien parvenir au sommet du mont Jatou dès sa première ascension. En réalité, c’est à ce moment que le jeu commence vraiment. Sans rien divulgâcher, une simple balade dans le menu vous apprendra en fait l'existence de 24 donjons différents, et 10 de plus en ajoutant le DLC ! Une fois le premier acte bouclé, l’histoire reprend de plus belle, et les terrains d’exploration se démultiplient. En poursuivant nos efforts, le jeu devient de plus en plus conciliant, grâce à un village de départ enrichi de nombreux marchands, ou en autorisant par exemple le voyage rapide vers les différents points d’étape. 

C’est la grande force de Shiren The Wanderer : nous transformer et nous rendre meilleur·e intrinsèquement.

Challenge relevé mais accessible, Shiren the Wanderer : The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island remplit sa mission. Complexe, frustrant, parfois cruel mais rarement injuste, le jeu est un miroir : chaque tentative nous en apprend autant sur les ennemis, les objets ou les pièges, que sur notre fainéantise, notre arrogance ou notre sang-froid. Derrière une narration chorale distillée note par note, se dévoile un scénario modeste mais plaisant, et des personnages attachants malgré les nombreux clichés dans lesquels ils se baignent. Néophyte ambitieux ou vagabond vétéran, bonne aventure sur Serpentcoil Island !

Shiren The Wanderer: The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island sera disponible sur PC via Steam le 11 décembre 2024.

*Calembour réalisé par un professionnel. N’essayez pas de reproduire cela chez vous. Enfin, si, essayez. Toujours. Car derrière chaque calembour hilarant, se cachent une centaine de jeux de mots vraiment, vraiment nuls. 

**Afin de rassurer notre aimable lectorat, la rédaction précise que l’utilisation de cette locution éculée, particulièrement à propos du Japon, relève bien sûr du second degré. Nous essayons de vous proposer un test rigoureux et méthodique, mais avec un humour savamment distillé et quelques jeux de mots de haute voltige, pour casser la grammaire parfois austère d’une description de mécaniques de jeux. Un test entre tradition et modernité, finalement…