À une époque où les jeux de rôle sur papier dominaient, Rogue a apporté une expérience qui allait définir tout un genre, y compris le Donjon Mystère. Développé en 1980 par Michael Toy et Glenn Wichman, ce titre repose sur une mécanique d’exploration de donjons où chaque partie est différente grâce à une génération procédurale. Son interface en ASCII, rudimentaire mais efficace transformera de simples caractères en un monde hostile et impitoyable.
Dès les premières minutes, le ton est donné : la survie est au cœur de l’expérience. Chaque mouvement peut être fatal. Pas de seconde chance : la mort est définitive. L’absence de sauvegarde oblige le joueur à repenser chaque stratégie, à apprendre de ses échecs et à progresser dans un environnement imprévisible. Tout un arsenal est mis à disposition : armes, potions, parchemins… tant qu'on en comprend les subtilités. Certains objets cachent des effets bénéfiques, d’autres des malédictions qui transforment une partie en drame.
Amulette de Yendor
L'Amulette de Yendor est l'artefact le plus puissant connu... d'origine inconnue. On dit qu'elle est capable d'exaucer n'importe quel souhait si la volonté de son propriétaire est suffisamment forte pour la "persuader" de le faire.
La descente dans les profondeurs du donjon ne se fait pas sans contrainte.
"Allez à droite : mort. À gauche : trépas. En haut : Un monstre trop fort. En bas, l'Amulette de Yendor, trésor ultime qui vous conduira à votre perte. Où que vous alliez, le dédale de vos actions sera en votre défaveur. Rogue, c'est ça."
La faim devient un ennemi silencieux. Chaque recoin plongé dans l’obscurité dissimule des créatures redoutables. L’Amulette de Yendor attend les plus téméraires. Mais l’atteindre ne garantit pas la victoire : encore faut-il réussir à remonter à la surface vivant — cruel et fascinant !

Quarante ans plus tard, son influence reste omniprésente. Rogue représentait la première pierre du genre que nous allons aborder aujourd'hui le Donjon Mystère.
Donjon Mystère ? Oui c'est moi !
Alors que Dragon Quest s’impose comme une référence du jeu de rôle japonais, un spin-off inattendu fait son apparition en 1993 : Torneko no Daibōken: Fushigi no Dungeon. Un pari audacieux pour Chunsoft, qui décide de mélanger l’univers enchanteur de Dragon Quest IV avec les mécaniques impitoyables inspirées de Rogue. Exit les épopées héroïques et les combats au tour par tour classique. Place au procédural, aux étages inconnus et à la grosse goutte de sueur sur le front.
Aux commandes de Torneko, ce marchand rondouillard, l’objectif semble simple : agrandir son commerce. Pour ce faire, balades périlleuses dans le donjon. À chaque nouvelle expédition, celui-ci se réinvente, forçant le joueur à s’adapter en permanence. Une mauvaise rencontre, un objet mal utilisé, et c’est la chute. Une mécanique brutale, mais étrangement addictive, qui laisse de côté les métriques pour la maîtrise — c'est au joueur de devenir meilleur.
"Faut-il utiliser ce pain maintenant ? Ce bâton inconnu est-il un précieux allié ? Que de questions ! Malgré ces dilemmes constants, impossible de résister à l’envie d’y retourner, d’affiner sa stratégie, de retenter sa chance."
Torneko no Daibōken pose les bases d’une saga, Donjon Mystère, qui s’étendra bien au-delà de cette franchise, inspirant des séries comme Pokémon Donjon Mystère et Shiren the Wanderer ou encore Chocobo Mystery Dungeon.
Je te serai fidèle
Le mode de combat de Rogue et celui des Donjons Mystères partagent une même philosophie basée sur la réflexion et la gestion du risque. Chaque action du joueur déclenche simultanément celle des ennemis, créant un système au tour par tour synchrone où chaque déplacement, attaque ou utilisation d’objet doit être soigneusement pesé. Rien ne se passe tant que le joueur ne bouge pas, mais dès qu’il agit, le monde autour de lui réagit immédiatement.
L’espace joue un rôle déterminant. Dans Rogue, se retrouver acculé dans un couloir peut empêcher toute esquive, tandis qu’une grande salle permet de manœuvrer et d’éviter certains affrontements. Le Donjon Mystère reprend et améliore cette mécanique en ajoutant les déplacements diagonaux et des interactions plus poussées avec l’environnement. Il devient possible de repousser des ennemis, de poser des pièges ou d’exploiter les couloirs pour limiter le nombre d’adversaires affrontés à la fois.
Les ressources doivent être gérées avec précaution. Dans Rogue, les potions et parchemins ont souvent des effets inconnus — ce qui pousse à la dangereuse expérimentation. Le Donjon Mystère conserve cette incertitude et oblige le joueur à peser le pour et le contre avant d’utiliser un objet dont l’effet n’est pas identifié. Cette prise de risque peut se révéler salvatrice comme destructrice.
Dans Rogue comme dans le genre qui nous intéresse, la survie ne dépend pas uniquement des statistiques du personnages, mais surtout de la capacité du joueur à anticiper, s’adapter et gérer ses ressources avec intelligence. Cette fidélité dans la conception fait du style l’un des héritiers les plus directs et respectueux de Rogue.
Le cas Pokémon Donjon Mystère
Avec Pokémon Donjon Mystère, Chunsoft reprend la formule exigeante des Donjons Mystères classiques tout en la rendant plus accessible. Là où des jeux comme Shiren the Wanderer ou Torneko no Daibōken imposent une difficulté implacable et une perte totale de progression en cas d’échec, Pokémon Donjon Mystère opte pour une approche plus douce, pensée pour un public plus large.
L’un des changements réside dans la gestion de la mort. Dans un Donjon Mystère traditionnel, une défaite signifie souvent la perte de tout l’équipement et un retour à zéro. Ici, si l’équipe tombe au combat, il est possible de demander du secours via un système de secours en ligne ou d’accepter la défaite sans perdre définitivement ses objets et son argent. Cette mécanique réduit la frustration et encourage l’expérimentation sans la peur de perdre des heures de progression.
Autre simplification, le système de combat. Le Donjon Mystère repose sur un tour par tour synchrone où chaque mouvement compte. Si Pokémon Donjon Mystère garde le même principe, il modifie certains aspects stratégiques. Les objets sont plus généreux, les capacités des Pokémon permettent de mieux gérer les situations dangereuses, et le jeu offre des mécaniques comme les attaques à distance ou les capacités de soutien qui rendent les combats plus permissifs.
L’ambiance elle-même contraste fortement avec l’austérité des Donjons Mystères originaux. Là où Shiren the Wanderer plonge le joueur dans un monde hostile avec peu d’indications et des mécaniques parfois impitoyables, Pokémon Donjon Mystère mise sur une narration centrée sur l’amitié et le dépassement de soi. De plus, les graphismes colorés et la musique apaisante renforcent ce sentiment d’accessibilité et de bienveillance.
Même la progression générale est pensée pour être plus fluide. Ce spin-off de Pokémon propose des checkpoints, le recrutement de nouveaux compagnons — brisant la monotonie desdits donjons — et la diversité des Pokémon alliés offre une flexibilité qui permet d’adapter son équipe aux défis rencontrés.
En assouplissant ces mécaniques sans trahir l’essence du genre, Pokémon Donjon Mystère démocratise un genre connu pour sa rudesse et invite un nouveau public à découvrir le plaisir de l’exploration roguelike sans la peur de l’échec permanent. Une initiation en douceur qui conserve l’esprit du défi tout en rendant l’aventure bien plus accessible. On pourrait donc parler de Donjon Mystère-lite.
Donjon Mystère proche de l'extinction ?
Avec cet exemple nous avons pu remarquer que le Donjon Mystère en tant que genre a tendance à se simplifier. Tout comme Rogue a donné les roguelike et les roguelite, il semblerait que son héritier en fasse autant. Mais si les termes liés au premier Rogue foisonnent encore aujourd'hui — qui n'a pas entendu parler de Rogue Legacy, ou plus proche de nous Hadès — le genre du Donjon Mystère semble quant à lui s'essouffler. L'attrait des joueurs nous interroge : "Est-ce une question de rigidité du gameplay ? De tolérance à la frustration ? Ou encore du manque d'expériences accessibles dû à une sous-exploitation ?". Il nous semblerait que ce soit un mélange de tous ces facteurs.
Il reste bien le tout dernier Shiren the Wanderer: The Mystery Dungeon of Serpentcoil Island qui perpétue l'héritage, mais après ? Un genre peut-il survivre sur une fanbase d'irréductibles ? La franchise Shiren semble le prouver. Qu'en sera-t-il du futur ?
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