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JRPG — Et si sa force était la « sobriété » ?

Notre culture populaire, celle qu'on adore, que l'on suit jour après jour, tend à s'éteindre lentement. C'est le prix d'une surproduction toujours plus importante de JRPG, ne nous permettant pas d'en finir, ne serait-ce qu'un dixième. Il est là, le tort de notre communauté : vouloir aller vite et consommer. Beaucoup. Peut-être un mal commun qui nous touche, et qui, peut-être, un jour, pourra se soigner. Je vous entends : il faut que le pain se paie et que les enfants soient nourris. Mais ne pourrions-nous pas, un instant, poser la manette et réfléchir à ce que nous voulons vraiment ?

Le JRPG nous fait vivre des émotions ; parfois, des histoires nous touchent, parfois moins. Cependant, un jeu, comme toute œuvre artistique, se digère, se réfléchit, s'enrichit avec le temps qui passe. Un temps où nous avions le temps de l’analyse, le temps du recul. Aujourd’hui, tout cela est bafoué par des points positifs et négatifs, agrémentés d'une note aussi arbitraire qu'inutile. L’écho d’un jeu n’est plus le même. Le suivant arrive rapidement, sans que nous ayons eu le temps de respirer.

Les débuts de Dragon Quest, en 1986, résonnent aujourd’hui comme un rappel presque poétique d’une époque où les limites techniques imposaient une certaine forme de lenteur, de contemplation, et, paradoxalement, de richesse. Sur la première Nintendo, les capacités étaient restreintes : peu de mémoire, une palette de couleurs réduite, une musique en quelques pistes, et pourtant… Dragon Quest, par son approche simple mais ambitieuse, posait les bases d’un genre entier.

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L’aventure y était épurée : un héros seul, un royaume en péril, des monstres à vaincre, une quête à accomplir. Mais cette simplicité, dictée par les contraintes techniques, devenait une force. Le rythme du jeu imposait l’attention. Chaque ennemi représentait un danger. Chaque village, une étape significative. Le joueur, face à un monde certes réduit, avait tout le loisir de s’y attarder, de s’en imprégner. Les dialogues, souvent limités à quelques lignes, laissaient place à l’imaginaire. La musique, composée par Kōichi Sugiyama, répétitive par nécessité, devenait une ritournelle obsédante qui s’imprimait dans la mémoire.

Ces limites obligeaient les développeurs à se concentrer sur l’essentiel : l’émotion du voyage, la montée en puissance du héros, la narration minimale mais évocatrice. Aujourd’hui, à l’ère du photoréalisme et des mondes ouverts sans fin, cette sobriété peut sembler archaïque. Et pourtant, Dragon Quest nous rappelle qu’un jeu, comme une nouvelle ou un haïku, peut dire beaucoup avec peu.

À force de vouloir tout montrer, tout offrir, ne risquons-nous pas de perdre ce qui fait la saveur d’un voyage vidéoludique ? Une pause, le temps de ressentir.

— Et si, dans cette simplicité, se cachait la véritable richesse ? Et si, dans la patience, naissait une aventure plus vertueuse encore ?

Akira Toriyama disait : « Je préfère les choses simples et agréables. » Cette phrase, aussi simple soit-elle, résonne en moi comme une évidence, presque une solution. Nous nous attardons trop souvent sur la quantité de mécaniques, sur la profusion de contenu. Nous plébiscitons les jeux généreux, complexes, riches en systèmes. Des jeux aux mécaniques entremêlées, proches de théories tangibles. Toute une science, contenue dans un fragment de mémoire. Pourtant, Dragon Quest XI, sorti en 2017, nous prouve qu’une histoire simple, accompagnée d’une boucle de gameplay tout aussi épurée, peut suffire à faire jaillir des sentiments.

Si nous nous attardons un peu sur l’histoire du JRPG, arrêtons-nous, non pas aux prémices, non pas aux racines… mais bien plus loin. Bien plus tard. Sorti en 2015, Undertale apparait comme une ode à la simplicité. Il ne déborde pas, ni de contenu, ni de graphismes, ni de systèmes complexes... Pourtant, il touche. Il touche au cœur, précisément parce qu’il sait rester humble.

Conçu presque entièrement par une seule personne, Toby Fox, Undertale incarne cette philosophie de la retenue : une boucle de gameplay élémentaire — exploration, dialogues, affrontements au tour par tour — mais soutenue par une idée forte : « Et si vous n’aviez pas besoin de tuer ? » C’est tout. Une mécanique, une seule, mais explorée dans toutes ses nuances morales, narratives, émotionnelles.

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Là où d’autres JRPG empilent mécaniques, quêtes annexes et systèmes d’artisanat, Undertale préfère nous confronter à une poignée de personnages mémorables. Papyrus, Toriel… autant de figures qui, dans leur naïveté ou leur absurdité, deviennent profondément humaines. Comme chez Toriyama, le trait est simple, le ton souvent léger, mais sous cette surface se cache une sincérité pure. La musique, elle aussi, accompagne chaque moment avec une composition minimalistes, mais inoubliables.

En 1994, au Japon. Le moment où Mother II, que l’Occident connaîtra sous le nom d’EarthBound, voit le jour. À première vue, le jeu étonne. Pas de royaumes médiévaux, pas d’épées légendaires, ni de dragons ancestraux. À la place : une Amérique fantasmée, des enfants à vélo, des hamburgers et ennemis absurdes — des hippies agressifs, des statues maléfiques, des signes de ponctuation vivants. Et pourtant, sous ce vernis étrange, c’est un JRPG dans la plus pure tradition.

Mais Mother II fait autre chose. Il prend le joueur à rebours, avec humour, avec tendresse, avec une forme d’innocence maîtrisée. Son gameplay reste simple : des combats au tour par tour, des objets, des sorts — rien de révolutionnaire. Mais c’est dans l’ambiance, les dialogues, le ton, que le jeu montre toute sa poésie. Il parle d’amitié, d’angoisse, de solitude... Il le fait sans emphase, sans trop en faire. Il laisse la place au non-dit, à la bizarrerie, au malaise parfois. Et surtout, il ne prend jamais le joueur de haut et l'accompagne.

Dans cette étrangeté douce, il y a une forme de vérité. Un sentiment de nostalgie immédiate — même pour ce qu’on n’a jamais vécu. Comme dans Dragon Quest ou Undertale, tout cela repose sur une simplicité radicale : pas de fioritures, pas de surcharge. Juste ce qu’il faut. Un après-midi d’été, une bicyclette qui grince sur l’asphalte chaud, une partie de ballon dans un jardin, et des soucoupes volantes qui passent sans prévenir au-dessus des toits. Mother II ne cherche pas à être grand. Il cherche à être juste. Et il y parvient.

Revenir sur Pokémon Rouge et Bleu, c’est remonter à 1996. Une époque où le JRPG, après avoir exploré les quêtes héroïques et les mondes fantastiques, trouve ici une autre forme de récit : le quotidien, la capture, la collection — et l’aventure, oui, mais à hauteur d’enfant.

Pokémon, dans sa première version, est un jeu modeste. Graphiquement simple, aux couleurs limitées, avec une interface minimale. Et pourtant, il offre un monde qui semble immense. Non pas parce qu’il l’est objectivement, mais parce qu’il est dense de sens, de secrets, de curiosité.

Le principe est enfantin : capturer des créatures, les faire évoluer, affronter d’autres dresseurs. Mais dans cette simplicité réside une mécanique puissante : l’attachement. Chaque Pokémon a un nom, une forme, une personnalité — même si elle n’est qu’esquissée. Ce ne sont pas des armes, ce sont des compagnons. Le jeu nous apprend à choisir, à laisser, à garder. Il nous oblige à faire des adieux, à entraîner, à progresser lentement. C’est un JRPG d’apprentissage, de patience, et de persévérance.

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Il ne parle pas de sauver le monde, ou seulement en creux. Il parle de devenir meilleur, à son rythme, de grandir, de faire des rencontres et de tracer sa route. Il parle d’un monde qui s’ouvre à mesure qu’on gagne en confiance. Et ce monde, pourtant si simple techniquement, nous a semblé immense à l’époque — et parfois, encore aujourd’hui.

Pokémon premier du nom, c’est l’enfance codée sur quelques mégas de données. C’est une promenade à travers les hautes herbes, la musique d’un centre Pokémon, les cris électroniques d’un Rattata sauvage. Ce sont des souvenirs qui tiennent dans une cartouche, mais qui ont laissé une empreinte profonde.

— Nos vies sont parfois si dures… Peut-être est-ce pour cela que la simplicité nous touche autant. N’est-ce pas, au fond, ce qu’on recherche : une parenthèse douce, une aventure qui ne demande rien d’autre que d’être vécue, lentement ?

Il y a des jeux qui ne cherchent pas à nous impressionner. Qui ne hurlent pas leur génie, mais le murmurent doucement à l’oreille de ceux qui prennent le temps d’écouter. Chrono Trigger est de ceux-là.

Sorti en 1995, il n’a pas l’arrogance d’un monde ouvert, ni la lourdeur d’une narration trop bavarde. Tout y est fluide. Naturel. Comme si le jeu avait été pensé pour ne jamais déranger. On y traverse le temps, oui — mais pas pour faire étalage de grandeur. Plutôt pour comprendre, pour réparer, pour relier. Chaque époque est un fragment d’émotion. Une ruine dans un futur désert, un feu de camp à la nuit tombée, un royaume englouti dans la musique du silence.

Le système de combat est limpide. Pas de transition. Pas de coupure. Les ennemis sont là, sur la carte, comme un prolongement du monde. Les compétences s’enchaînent, se combinent — non pas dans la complexité, mais dans l’harmonie. On joue, simplement. Et ça suffit.

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Il n’y a pas de héros grandiloquent dans Chrono Trigger. Juste un groupe d’âmes jetées dans la traversée du temps, qui avancent parce qu’il le faut, parce que quelqu’un doit le faire. Ce n’est pas une quête de pouvoir. C’est une quête de sens. De réparation. D’équilibre.

Et comme toujours, dans cette douceur, dans cette modestie, dans cette absence de bruit — il y a quelque chose qui reste. Quelque chose qui nous touche, longtemps après que l’écran s'éteint.

Et puis il y a Expedition 33.

Dans sa direction artistique, dans son silence contenu, il y a une promesse. Celle d’un retour. Non pas un retour en arrière, mais un retour à l’essentiel.

Clair Obscur: Expedition 33 n’a pas besoin d'en faire des tonnes pour exister. Il se tient là, avec ses tons huilés, ses architectures inspirées d’un Paris oublié, et ce groupe d’âmes fatiguées qui marchent vers la fin — ou vers un sens. Il y a dans ce titre une élégance rare. Une pudeur.

On y retrouve cette simplicité précieuse que l’on croyait perdue. Des combats au tour par tour, oui, mais réimaginés avec soin, sans excès. Une narration centrée sur l’humain, sur la perte, sur ce qui nous échappe. Pour sauver les hommes, on traverse l'inconnu. On l’interroge. Peut-être même qu’on l’accepte, comme il est, imparfait et beau à la fois.

Dans un monde vidéoludique où l’on empile les mécaniques, où l’on sacrifie le silence au profit de la stimulation constante, Expedition 33 fait le pari inverse : celui de la lenteur, de la contemplation.

— Et si c’était cela, la vraie audace du JRPG ?

Peut-être avons-nous oublié...

Oublié ce que cela fait de s’asseoir devant un jeu, non pas pour gagner, non pas pour optimiser, non pas pour tout voir — mais pour vivre. Pour ressentir quelque chose. De discret. D’invisible. Le jeu vidéo, à l’image d’un roman ou d’un morceau de musique, peut être un miroir. Il n’a pas besoin de nous submerger. Il peut simplement nous tendre la main. Et parfois, c’est suffisant.

Dans l’effervescence actuelle, dans cette obsession de la nouveauté, de la quantité, de la comparaison, nous avons peu à peu échappé à l’essentiel. Nous ne jouons plus, nous consommons. Nous parcourons des univers immenses en ligne droite. Nous accumulons les trophées comme des preuves d’existence. Nous notons, nous classons, nous oublions. Nous nous oublions...

Mais certains jeux, discrets, résistants, parfois même oubliés, continuent de tracer une autre voie. Celle du silence, de la patience, de la contemplation. Ils ne cherchent pas à être viraux. Ils ne crient pas leur valeur. Ils demandent juste à ce qu’on les écoute — vraiment. Ce sont ces jeux-là qui laissent une trace. Parce qu’ils nous parlent sans insistance. Parce qu’ils ne nous dictent rien. Parce qu’ils nous laissent penser, ressentir, digérer. Ils comprennent quelque chose que tant d’autres ont perdu : la puissance de la sobriété.

Ce que ces JRPG nous montrent, à travers leurs musiques douces, leurs dialogues mesurés, leurs mondes à taille humaine, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’aller loin pour voyager. Il suffit parfois de quelques pas dans l’herbe haute, d’un feu de camp sous les étoiles, d’un combat lentement gagné, d’un regard échangé. C’est dans ces instants où tout s'arrête, dans ces détails minuscules, que naît l’attachement. Que surgit la mémoire. Que se construit la trace.

Peut-être qu’un jour, nous comprendrons cela à nouveau. Que la beauté ne réside pas dans l’ampleur, mais dans la justesse. Que le nombre ne fait pas la richesse. Que le jeu n’a pas besoin de spectacle pour être grand. Il a juste besoin d’un cœur. D’un souffle. D’un peu d’humanité.

Alors oui, peut-être qu’un jour, nous poserons la manette. Non pas pour fuir le jeu, mais pour mieux y revenir. Avec patience. Avec attention. Comme on relit un vieux livre. Comme on se souvient d’un été passé. À bicyclette.

Et là, au milieu du bruit, nous reconnaîtrons leur voix :
Ces JRPG simples. Ces JRPG vrais.
Et peut-être, enfin, nous écouterons...

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Kuro
Kuro

✅ Créateur du média

✅ Amateur de culture pop, JRPG et retrogaming

✅ À l'âge de 38 ans, mon JRPG préféré demeure Chrono Trigger !

💔 RIP Akira Toriyama, tu resteras à jamais dans nos coeurs...

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