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Arrêtons de glorifier le monde ouvert !

L’engouement pour les mondes ouverts a longtemps semblé sans limite. L’exemple le plus cité reste The Legend of Zelda: Breath of the Wild (2017), perçu comme « le renouveau du jeu vidéo en monde ouvert », alliant liberté d’exploration et émerveillement. Plus récemment, Elden Ring a su montrer qu’un vaste monde pouvait favoriser la découverte spontanée, Miyazaki rêvant de faire un jeu en monde ouvert où l’on pourrait voir une montagne au loin, s’y rendre et l’explorer. Pourtant, ces exemples d’exception masquent une réalité plus critique : taille et liberté ne garantissent ni qualité, ni récit marquant, ni plaisir renouvelé. Au contraire, de nombreux titres démontrent que l’open-world est souvent poussé à l’extrême au détriment de la profondeur du gameplay et de l’écriture. Pour nous en convaincre, il suffit d’observer plusieurs aspects où l’open-world peine à tenir ses promesses. 


AVERTISSEMENT : Avant tout, je ne cherche pas à dénigrer le monde ouvert. À travers ce papier, j’essaie d’en pointer les dérives. Il existe d’ailleurs d’excellents jeux du genre, tels que Skyrim ou The Witcher 3, pour ne citer qu’eux. Ce texte s’appuie principalement sur mes propres expériences (notamment Clair Obscur: Expedition 33, Pokémon Écarlate et Violet, Forspoken), tandis que d’autres arguments sont tirés de médias ou forums que je cite en fin d’article.


Parmi ceux-ci, on constate que de plus en plus de RPG en monde ouvert intègrent des mécanismes simplifiés, ce que l’on appelle parfois le « Light RPG ». Après 2015, nombreux sont les jeux influencés par The Witcher 3 à avoir ajouté des éléments de ce type : arbres de talents réduits, niveaux d’ennemis uniformisés, compétences faciles à acquérir. Les derniers Assassin’s Creed, Far Cry ou même le dernier Pokémon adoptent ainsi des systèmes de progression très accessibles, souvent au détriment de l’exigence. Cette tendance gomme les subtilités du RPG traditionnel puisque, au lieu de véritables choix tactiques, le joueur se contente de débloquer des compétences préétablies.

Cette simplification mène à une uniformisation mécanique qui se remarque dès que l’on cherche à améliorer son équipement ou apprendre un coup spécial. On clique compulsivement dans des arbres de compétences pour « remplir » une barre d’expérience, sans ressentir un réel approfondissement du personnage. L’open-world use alors d’astuces superficielles pour donner l’illusion d’un RPG riche, mais il n’offre souvent qu’un gadget supplémentaire dans un vaste terrain de jeu. Ce RPG « light » devient ainsi moins exigeant et, au final, moins satisfaisant pour les passionnés du genre.

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Pokémon Écarlate et Violet

Un reproche majeur adressé aux mondes ouverts concerne la répétitivité des activités annexes. On gonfle artificiellement la durée de vie en disséminant à foison des tâches identiques : aller à un endroit, tuer quelques ennemis, ramasser un objet, et ainsi de suite. Cette répétition génère rapidement une lassitude. La presse spécialisée et certains joueurs dénoncent ainsi la profusion de choses à faire pour atteindre les 100 % de complétion, allant du plus passionnant à l’anecdotique. Le joueur se retrouve alors à enchainer des quêtes interchangeables, sans réel liant narratif. Beaucoup d’objectifs paraissent purement « placés là » : points de vue à gravir, fanions à ramasser ou avant-postes à nettoyer, autant d’éléments qui donnent l’impression que tous les mondes ouverts d’un même éditeur se ressemblent, avec des tâches qu’on pourrait aisément intervertir entre chaque jeu.

Par ailleurs, même si l’univers du jeu est riche, les missions annexes manquent souvent de substance. Ainsi, Batman: Arkham City a été critiqué pour avoir disséminé ses méchants dans des quêtes « inintéressantes pour la plupart », tandis que dans MGS V: The Phantom Pain, de longues quêtes secondaires sans fin ni cohérence s’imposent avant de débloquer les rebondissements du scénario. La profusion d’activités force le joueur à « remplir du contenu » plutôt qu’à vivre une aventure structurée, donnant davantage l’impression d’une corvée de complétion que d’un plaisir de découverte. En somme, plus le monde est vaste et la liste de quêtes longue, plus le joueur ressent ce que l’on appelle le « busy work », une exécution mécanique de tâches redondantes qui finit par tuer l’immersion et éroder l’enthousiasme.

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MGS V: The Phantom Pain

Dans cette dynamique, certains développeurs masquent derrière un vaste open-world une ambition narrative limitée. L’espace ouvert devient un alibi pour se dispenser d’un scénario dense et rythmé. C’est particulièrement vrai dans la saga Assassin’s Creed, où la richesse architecturale est souvent saluée, tandis que le scénario est qualifié de « purge scénaristique », avec des personnages de série B et une mise en scène bancale. L’essentiel de l’énergie créative est alors consacré au monde plutôt qu’à l’intrigue. De manière similaire, dans MGS V: The Phantom Pain, le joueur est contraint de réaliser des missions secondaires sans lien avec l’histoire principale, simplement pour débloquer quelques séquences narratives. Cette approche transforme la progression scénaristique en une corvée de quêtes annexes à remplir avant d’accéder au dénouement. L’open-world, dans ce cas, devient une « sandbox » où le récit se fait secondaire. Certains observateurs constatent que le monde ouvert prend tant de place que le reste est délaissé, donnant priorité aux paysages et à l’architecture plutôt qu’à la narration. Le résultat est une expérience où l’on passe plus de temps à explorer qu’à suivre un développement dramatique. Le modèle perd ainsi sa cohérence, valorisant le volume du jeu — heures de jeu, zones, quêtes — au détriment de sa substance — intrigue, rythme, personnages.

Le modèle open-world connaît aujourd’hui un essoufflement. Alors que chaque nouveau blockbuster tente d’offrir sa propre version de Skyrim ou GTA, le joueur expérimenté se lasse du copier-coller des mécanismes. La formule, devenue banale, peine à se distinguer. Ce phénomène s’explique notamment par la redondance mécanique : la carte se dévoile par des tours d’observation, les déplacements sont longs et monotones, et les quêtes annexes se multiplient souvent pour ne constituer qu’un simple remplissage. Les franchises phares donnent parfois l’impression de tourner en rond. Par exemple, Assassin’s Creed Odyssey a été critiqué pour sa surcharge d’activités, une tendance peu corrigée par Valhalla. Même Ubisoft a reconnu que les joueurs en ont « marre de ces énormes RPG », d’où la volonté d’un retour à des mondes plus restreints et intimes. En outre, les coûts et délais de développement explosent avec ces mondes titanesques, tandis que le retour d’expérience sur la qualité ludique se fait moins évident. Les joueurs privilégient désormais des expériences fluides, ce qui pousse les studios à réajuster leur modèle.

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Assassin's Creed Valhalla

À contre-courant de cette tendance, certains RPG relancent le débat et remettent en question l’idée que seul l’open-world mérite l’attention. Le cas le plus parlant est Clair Obscur: Expedition 33, le jeu de rôle indépendant français. Sa construction linéaire, où l’on traverse les zones de manière séquentielle, est saluée pour sa qualité narrative et son gameplay. Ce titre modeste, au budget limité, montre qu’il est possible de rivaliser avec les grands mondes ouverts en misant sur une intrigue bouleversante, sans disperser le joueur. Sa mécanique allie zones relativement restreintes et petites touches d’exploration, atténuant la frustration d’une trop grande linéarité. Ainsi, ce jeu prouve que limiter l’open-world à des environnements plus cadrés, bien scénarisés, n’ôte rien au plaisir de la découverte.

D’autres jeux récents s’inscrivent dans cette « rébellion linéaire ». Certains JRPG japonais comme Persona 5 ou la série des Trails privilégient un déroulement clos, ce qui favorise l’écriture des personnages et la densité scénaristique. L’attente est forte pour des titres tels que Persona 4 Revival ou des suites de la série Tales, qui promettent un récit fort avec un monde plus contrôlé. Ces succès démontrent que beaucoup de joueurs préfèrent une expérience guidée où chaque zone est soigneusement scénarisée, prouvant que l’immersion et l’émotion ne dépendent pas de l’étendue infinie du monde.

En outre, un autre défaut récurrent concerne la création de vastes territoires au design générique, sans véritable identité. Plutôt que d’inventer des univers uniques, beaucoup de productions multiplient des paysages « attrape-tout » – montagnes, forêts, lacs, temples – qui se ressemblent d’un jeu à l’autre. Ubisoft, notamment, est souvent pointé du doigt pour reproduire indéfiniment les mêmes schémas, proposant une multitude d’objectifs sans intérêt. Ainsi, la faune, la flore et même les quêtes de certains Far Cry ou Assassin’s Creed deviennent interchangeables d’un épisode à l’autre. Cette uniformité se traduit par une absence de diversité marquante. Par exemple, Assassin’s Creed Valhalla offre un univers graphique correct, mais on y déplore un manque cruel de variété, à l’exception notable d’Asgard. De même, l’open-world de Forspoken est souvent jugé terne et rapidement oublié, ses repères et ennemis semblant identiques. Les ambiances uniformes posent un autre problème : les villages ou donjons se ressemblent tant qu’ils donnent l’impression que seule la dénomination change, sans que le charme ni l’histoire ne suivent. Le journaliste de La Tentation Culturelle dénonçait déjà, en 2016, cette « culture du vide intellectuel » où une multitude d’activités se résume à « rien d’intéressant, tout le temps la même chose ». Il rappelait que même une architecture soignée ne suffit pas si l’histoire et l’âme du lieu font défaut. Souvent, ces vastes mondes finissent par paraître vides de sens : on y erre sans but, l’absence d’un fil narratif fort n’étant pas compensée. Des titres comme AC Odyssey ou Far Cry 6 illustrent cette impression de voyage dans de jolis décors sans autre but que de passer d’un point à un autre.

Frospoken

Tous ces travers démontrent qu’un grand espace vide ne vaut pas un petit monde riche. L’optimisation, souvent guidée par des impératifs marketing, prend le pas sur le level-design innovant et la cohérence artistique. Paradoxalement, certains jeux plus modestes par leur taille, mais cohérents dans leur conception — tels que Silence – The Whispered World 2 ou It Takes Two — ont su toucher davantage que de vastes univers froids et dispersés. En définitive, la taille ne remplace ni l’inspiration ni le sens donné à chaque lieu.

Au terme de ce constat, le retour à des jeu plus linéaires et narratifs semble de plus en plus légitime. Les JRPG classiques, connus pour leur écriture soignée, montrent qu’il existe un marché pour des expériences moins dispersées. Alors que l’open-world met le monde au centre, les JRPG placent le récit et les personnages au cœur, chaque événement étant pensé pour faire avancer l’intrigue. Des séries comme Persona, Final Fantasy (excepté le XV) ou The Legend of Heroes continuent de proposer des aventures où la narration verticale prime avec un rythme, pour la plupart, contrôlé. Même sans accès permanent à un monde gigantesque, le joueur bénéficie d’une écriture solide et d’environnements bien caractérisés, comme dans Dragon Quest XI ou Tales of Arise.

La linéarité facilite aussi la mise en scène et les rebondissements, permettant aux studios de doser avec précision quand et où le joueur doit aller, maintenant ainsi la tension et l’émotion à leur maximum. Les amateurs de JRPG réclament de plus en plus des expériences où « l’on sent chaque scène où l’on est guidé vers un lieu important, plutôt que de se perdre sur une carte ». Cette demande nourrit des projets ambitieux qui remettent en avant le scénario, assurant une place croissante à des titres comme Expedition 33 ou Chained Echoes, des suites de Persona ou des remakes HD-2D comme celui de Dragon Quest III, alliant esthétique moderne et découpage classique.

Dragon Quest XI

L’examen du level design technique des mondes ouverts révèle combien leur gigantisme structurel influe sur les défauts habituellement pointés. Pascal Luban, un consultant expert en game design, souligne en effet que dans un jeu en monde ouvert « le level design est plus important que son système de jeu ». Autrement dit, c’est bien l’architecture de l’environnement qui prime – l’attrait du joueur doit venir de l’exploration du terrain lui-même – et les mécaniques de gameplay classiques sont souvent reléguées au second plan. Cette inversion des priorités (on définit d’abord les caractéristiques du monde et on adapte ensuite les mécaniques à cette toile de fond) a plusieurs conséquences concrètes. D’une part, cela explique pourquoi beaucoup de jeux ouverts peuvent paraître répétitifs : on concentre les efforts sur la construction d’un vaste espace, quitte à remplir ce dernier avec des activités génériques. D’autre part, cela rend la cohérence interne du monde plus fragile. Plus un monde est grand, plus il est ardu de justifier géographiquement la diversité des environnements ou des quêtes qui y sont offertes. Les concepteurs multiplient alors les raccourcis narratifs ou les passages de terrains abrutissants pour remplir l’espace. Comme le résume Luban, avant de se lancer, il faut se demander « pourquoi voulons-nous un monde ouvert ? » car cette réponse oriente la nature même du contenu. La question sous-jacente est donc : est-ce pour la liberté d’exploration ou par souci mercantile ? Si la finalité n’est pas clairement définie, le monde ouvert peut vite devenir un cadre creux où le gameplay se dilue.

Ce gigantisme structurel pèse sur l’équilibre du gameplay lui-même. Dans un espace limité, on contrôle plus facilement la progression du joueur : on ajuste la difficulté, on canalise subtilement les déplacements et on rythme les rencontres. En monde ouvert, ce contrôle se disperse. Les designers doivent composer avec des parcours imprévus : un joueur peut aborder la difficulté dans le désordre ou passer rapidement d’une région à l’autre. Le calibrage des ennemis et des défis sur une carte étendue devient alors un casse-tête. Pour compenser l’immensité, les studios gonflent le contenu secondaire, souvent sous forme de quêtes pâles ou de collectes répétitives. Ce constat est résumé par l’adage qui court dans l’industrie : « plus c’est grand, mieux c'est » — principe que Ubisoft et d’autres détracteurs du format dénoncent. Patrick Bach, de l’équipe Scalar d’Ubisoft Stockholm, admet ainsi que la technologie ne doit pas dicter la taille du jeu : « Les jeux n’ont pas besoin d’être plus grands ». Il nuance : certains titres bénéficieront de mondes plus vastes, mais on ne doit jamais choisir la taille du monde pour la seule raison que la qualité du jeu n'en sera que plus grande. Autrement dit, l’étendue ne devrait pas dicter la conception ; au contraire, c’est l’expérience imaginée qui doit déterminer la dimension du monde.

Cette pression à « remplir » l’espace influence aussi le rythme de jeu. Les mondes ouverts souffrent fréquemment de problèmes de pacing : dès qu’une histoire doit cohabiter avec l’exploration libre, le risque de dilution narrative est élevé. Un décor étendu exige d’espacer les temps forts, ce qui peut casser la tension dramatique. Stephen van der Mescht, producteur exécutif sur Sleeping Dogs, reconnaît à ce titre que « contrôler le rythme est probablement l’une des choses les plus difficiles à faire » dans un jeu en monde ouvert. Son équipe a dû concevoir le flux principal du jeu, l’univers et l’intrigue en même temps, pour éviter que le joueur ne se sente perdu entre deux phases. Les concepteurs de Sleeping Dogs ont même créé leur propre « Google Maps » interne pour analyser les parcours probables des joueurs et y caler des événements secondaires en conséquence. Cette démarche témoigne de la gymnastique requise : sans une planification minutieuse, de longs trajets ou trop d’objectifs annexes rendent le monde pénible. Dans nombre de productions modernes, on constate d’ailleurs un recours systématique au voyage rapide et à la délimitation artificielle du territoire (zones barricadées, points de contrôle invisibles, délimitation par niveau d'ennemis...) pour limiter le temps perdu en simple navigation. Ce sont autant de signes que le gigantisme brise la fluidité de la progression.

Monde ouvert
Sleeping Dogs

La lisibilité spatiale pâtit également de cet agrandissement. Un vaste panorama peut se révéler monotone sans points de repère distinctifs ; pour compenser, les jeux open-world surchargent souvent le tableau de marqueurs sur la carte ou de tours à escalader pour révéler l’environnement. À force d’icônes et d’indicateurs, le joueur subit une sorte de pollution visuelle. En outre, la cohérence géographique s’en trouve compromise : on se retrouve parfois avec des corridors inutiles (des châteaux vides, de larges plaines sans intérêt) simplement pour occuper l’espace. Cet empilement artificiel nuit à la crédibilité du monde. À trop vouloir donner le sentiment d’une « liberté absolue », certains mondes ouverts en viennent à manquer de logique spatiale — les régions semblent juxtaposées sans lien organique, comme si chaque zone avait été dessinée indépendamment. Autant dire que cette surcharge d’éléments oblige le joueur à s’orienter en permanence avec un GPS, ce qui contredit la promesse d’exploration « naturelle » qui fait le charme théorique du genre.

En parallèle, la structuration des quêtes et du récit se complexifie. Dans un monde fermé, on suit souvent une ligne narrative tendue du début à la fin. En monde ouvert, il faut découper cette narration en multiples branches. Cela peut donner des résultats intéressants — comme le décloisonnement de The Witcher 3 — mais au prix d’une plus grande fragmentation. Les développeurs de ce dernier ont expliqué qu’ils ne souhaitaient pas « faire d’un vaste monde ouvert un simple aller-retour point A – point B – point C » dans un ordre strict. Au contraire, l’intrigue principale est pensée comme un thème commun découpé par région, de telle sorte que le joueur peut sauter certains épisodes sans rompre totalement la continuité. Comme Michał Platkow-Gilewski, responsable en relation publique chez CD Project Red, le précise, le fil narratif est plus une « thématique pour tout ce que vous faites », une légende qui évolue selon vos choix, plutôt qu’une succession de quêtes linéaires. Cette approche illustre les efforts pour préserver la cohérence narrative : chaque mission secondaire, même la plus anecdotique, est l’occasion de raconter un petit bout d’histoire. En citant les concepteurs de The Witcher 3, on comprend qu’ils ont dû « raconter toute l’histoire à chaque niveau » pour que même les quêtes annexes nourrissent le contexte global. Autrement dit, l’ampleur du monde a obligé les scénaristes à hypertrophier le récit à micro-échelle. Ce procédé peut éviter la sensation d’errance sans but, mais il pose un autre problème : la multiplicité de récits miniatures dilue le focus thématique initial. Le joueur peut dès lors perdre le fil de l’arc principal parmi la multitude d’anecdotes, confirmant l’idée que la narration « sacrifiée » est bien une limite du genre.

Cyberpunk 2077

Pourtant, après les excès dénoncés autour de Cyberpunk 2077, le studio a promis de repenser sa conception des mondes ouverts. Philipp Weber, le directeur narratif de The Witcher 4, indique que le prochain épisode cherchera avant tout la profondeur plutôt que l’amplitude : « L’open world n’a pas nécessairement besoin d’être de plus en plus grand, mais il peut être plus profond, plus immersif, plus systématique ». Et c'est là toute la nuance : CD Project Red reconnaît que l’augmentation de l’échelle ne doit pas remplacer la densité de contenu. Autrement dit, la vision est de favoriser des mondes ouverts « profonds » sans tomber dans la simple multiplication d’heures de jeu. Comme le remarquent déjà les équipes, après une décennie d’explosion des budgets et de gonflement des contenus, les joueurs manquent parfois du temps nécessaire pour voir tout ce qui est proposé. Le refus implicite de CDPR de laisser la carte gonfler indéfiniment répond directement à cette saturation.

De même, chez FromSoftware, le succès énorme d’Elden Ring ne signifie pas que tous leurs prochains titres seront identiques. Hidetaka Miyazaki lui-même a prévenu que le format « monde ouvert » n’allait pas nécessairement devenir la nouvelle norme du studio. Interrogé sur l’avenir de ses jeux, il explique ne pas prendre pour acquis que les futures productions déploient toutes un univers ouvert. Le studio souhaite « garder l’esprit ouvert » sur la diversité des genres qu’il développera. Cela indique qu’une fois passée l’expérimentation d’Elden Ring, FromSoftware pourrait alterner avec des titres plus linéaires ou segmentés, renouant ainsi avec des approches narratives concentrées. Le message est clair : même pour ceux qui ont lancé la « mode » de l’open world dans le jeu vidéo moderne, le format n’est pas gravé dans le marbre. Miyazaki rappelle que les prochains jeux pourraient très bien ne pas ressembler à Elden Ring, préservant ainsi la flexibilité créative du studio.

On retrouve ce glissement de mentalité chez d’autres équipes de renom. Par exemple, Takashi Iizuka (Sega) a insisté sur le fait que Sonic Frontiers n’est pas pensé comme un « vrai monde ouvert » classique : c’est un concept de « zones ouvertes » strictement dédiées au gameplay du personnage, plutôt qu’une liberté totale. Cette précaution s’explique par le constat que trop de conventions « open world » finissaient par étouffer la formule Sonic. De façon plus large, l’industrie semble mûrir une prise de conscience : aucun éditeur ne veut plus d’un jeu qualifié de « 300 heures inachevable ». Sur tous les fronts, on justifie les concessions de taille par un retour aux fondamentaux du divertissement vidéoludique.

Elden Ring
Elden Ring

Au final, ces points de vue convergent vers une critique commune : l’ère de la course au gigantisme est en train de passer, ou du moins d’être questionnée. Les développeurs leaders du marché soulignent désormais l’importance de la qualité sur la quantité. Ils mettent en garde contre les dérives de l’open world où l’on « injecte de l’activité pour le simple besoin d’occupation » du joueur. Les limitations techniques (gestion du streaming des environnements, taille mémoire, bugs à corriger) et narratives (fatigue du joueur, dilution de la direction artistique) sont autant de facteurs qui poussent à concevoir des expériences plus contenues et soignées. En somme, ce modèle, tel qu’il a dominé le jeu vidéo ces dernières années, n’apparaît plus comme un acquis immuable. Les critiques internes du milieu (au travers des propos d’Ubisoft, CDPR, FromSoftware, etc.) confirment que l’on explore dorénavant d’autres formats — plus linéaires, plus segmentés, ou du moins « ouverts » sur une plus petite échelle — pour éviter les pièges du gigantisme. Ces témoignages de développeurs rejoignent ainsi les reproches des joueurs et des critiques sur la redondance des quêtes et le sacrifice narratif : le problème n’était pas seulement dans l’exécution, mais dans l’ambition même du concept.

Les succès récents montrent qu’un jeu n’a pas besoin de cette étiquette pour toucher le succès. La maîtrise de l’espace, du rythme et de l’histoire prime sur la liberté absolue. Beaucoup de joueurs aspirent à revenir à l’essentiel : un scénario travaillé, des personnages qui le sont tout autant, et des mondes conçus au service de l’intrigue. Ces raisons plaident pour un regain d’intérêt pour des RPG plus linéaires, mieux rythmés et exigeants dans leur narration.

L’hégémonie du monde ouvert dans le jeu vidéo repose sur des promesses séduisantes — liberté, exploration, grande durée de vie — mais l’excès révèle ses limites. Cette survalorisation engendre souvent un RPG « léger » dans ses mécaniques, des activités secondaires redondantes et un scénario sacrifié au profit du décor. L’essoufflement du modèle est palpable : de nombreux joueurs sont saturés de contenus identiques et réclament de la fraîcheur.

Cette situation ouvre la voie à d’autres formes de RPG : des titres plus linéaires et scénarisés, comme l’illustre brillamment Clair Obscur: Expedition 33, qui rivalise avec de grands RPG malgré sa petite échelle. En effet, un monde immense et vide n’est pas garant d’émotion ou de sens supérieurs à un univers plus restreint mais cohérent. La taille seule ne fait ni la qualité ni l’immersion. Au contraire, les créations récentes démontrent que le retour à des récits bien construits et à des univers à taille humaine, intimistes, peut renouveler l’enthousiasme des joueurs. En attendant que l’industrie réajuste son tir, il serait temps d'arrêter de glorifier aveuglément le « tout-ouvert » : il existe de multiples chemins pour offrir des expériences RPG inoubliables, même en dehors de toutes ces vastes plaines sans âmes.

Sources : 

Medium ; Game Informer ; PCGamesN ; The Washington Post ; Vulture ; Reddit ; GameFAQs ; Quest Daily ; RPGWatch ; The Sun ; Polygon ; MeriStation ; IGN ; GameSpot ; Eurogamer ; RPG Site ; CGMagazine ; DualShockers ; Niche Gamer ; Gamerant ; Attack of the Fanboy ; SteamDeckHQ.

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Kuro
Kuro

✅ Créateur du média

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✅ À l'âge de 38 ans, mon JRPG préféré demeure Chrono Trigger !

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